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14 mai 2010 5 14 /05 /mai /2010 03:04

Publication dans le bulletin « Vimean Ekkrach » n° 2, mai 1992. Directeur de publication : Sam Rainsy ; Rédacteur en chef : Pen Vano.

 Le mot de la rédaction : Dans une lettre ouverte aux puissances du monde libre, datée du 14 janvier 1990, Samdech Norodom Sihanouk a fait une analyse extrêmement pertinente du régime actuel de Phnom-Penh. Nous reproduisons ci-dessous de larges extraits de cette lettre pour rappeler à nos lecteurs la véritable nature du régime de Chea Sim-Hun Sen, dans la perspective des prochaines élections. Même après la signature des Accords de Paris le 23 octobre dernier, ce document demeure d’une brûlante actualité, car il pose les vrais problèmes du Cambodge.

 Voici le contenu de la lettre :

 Texte manuscrit :

 Vous êtes des États souverains. En tant que tels, votre « politique cambodgienne » ne doit dépendre que de vous. Vous pouvez la modifier ou la changer complètement, à votre gré. Je n’ai pas à m’ingérer dans vos affaires même s’il s’agit d’affaires ayant un rapport direct avec ma Patrie et le sort de mon peuple.

 Texte traitement de texte :

 (…) si le régime de HUN SEN-HENG SAMRIN est maintenu pour longtemps au Cambodge, ce dernier (le Cambodge) deviendra de facto, non seulement un satellite (s’il ne l’est déjà) de la R.S. du Vietnam, mais, chose beaucoup plus grave et même mortelle pour lui (Cambodge), une colonie du Vietnam en ce qui concerne, en particulier, le peuplement et l’exploitation sans limite, le pillage catastrophique des ressources naturelles du pays colonisé. (…)

 Je vous demande de bien vouloir vous pencher sur le problème autrement plus grave pour le Cambodge et pour le peuple cambodgien de la vietnamisation physique et du pillage extensif des ressources naturelles du Cambodge par le gouvernement de Hanoï avec le plein consentement du régime de Hun Sen-Heng Samrin.

À ce sujet, ayez le courage d’interroger les militaires, les diplomates, les fonctionnaires, les intellectuels, les étudiants khmers du régime et qui ont pu déserter ce régime pour se réfugier dans plusieurs pays du monde libre.

 Ces « defectors » vous diront, très clairement, ceci :

 a) le groupe de Hun Sen-Heng Samrin est Khmer-rouge pur sang ; ce groupe est aussi mauvais que celui de Pol Pot ; les 2 factions khmères rouges (celle de Hun Sen et celle de Pol Pot) ne diffèrent que sur la question de leur dépendance : les Polpotiens dépendent de la RP de Chine et les Hunséniens dépendent (…) de la RS du Vietnam.

 b) le régime de Hun Sen (tout comme celui de Lon Nol en 1970-1975) bat tous les records de corruption et les soi-disant « progrès socio-économiques » ne profitent qu’aux familles des dirigeants et aux classes sociales supérieures, mais pas au vrai peuple cambodgien.

 c) le régime de Hun Sen viole constamment et gravement les droits de l’homme.

 d) le régime de Hun Sen n’est absolument pas indépendant. Il obéit au doigt et à l’œil au gouvernement de Hanoï. Dans les ministères, les services, l’administration du régime de Hun Sen, ce sont les « conseillers » vietnamiens qui dirigent en maîtres ces ministères, services, administration. Et c’est Hanoï qui dirige la politique intérieure et extérieure du régime de Hun Sen.

 e) à l’intérieur du Cambodge, il y a plus de 1 million de colons vietnamiens, immigrants illégaux, qui sont venus du Vietnam pour coloniser physiquement les terres des Cambodgiens et exploiter les ressources naturelles du Cambodge (pierres précieuses, forêts, caoutchouc, céréales, fruits, poissons, etc.…).

 À l’heure actuelle, les îles côtières cambodgiennes sont peuplées de pêcheurs vietnamiens ; il en est de même des régions du « Grand Lac » (Tonlé Sap), Mékong, Bassac.

Plusieurs centaines de villages jadis khmer sont, aujourd’hui, peuplés de Vietnamiens et portent des noms vietnamiens. Il en est de même de certains bourgs et petites villes jadis khmers, se trouvant près des frontières du Vietnam. En certains endroits, les frontières du Cambodge sont modifiées au profit du Vietnam.

Au plan culturel, la vietnamisation (surtout au plan linguistique) se poursuit à grande vitesse. Les Cambodgiens (Khmers) qui ne parlent pas bien et n’écrivent pas bien le vietnamien sont outrageusement défavorisés (dans l’obtention des diplômes ou des emplois, dans l’avancement administratif) par rapport aux Khmers parlant et écrivant brillamment le vietnamien.

Ainsi, dans quelques décennies, le Cambodge sera peuplé d’une majorité de Vietnamiens et les Khmers (comme au Kampuchea krom devenu Sud-Vietnam depuis l’arrivée des Français « coloniaux » en Cochinchine, en 1860) deviendront une minorité ethnique dans leur propre Patrie, laquelle verra également se rétrécir son territoire avec des modifications de ses frontières et maritimes au profit du Vietnam.

 Vous voulez « commencer » avec le régime de Hun Sen.

Et c’est ainsi qu’un nombre croissant de vos compagnies (banque, commerce, industrie, exploitation et plantation, etc.) se sont installées ou s’apprêtent à s’installer au Cambodge.

Ceci n’a rien de choquant.

Mais je me permets d’attirer votre attention sur certains (très graves) dangers que le Cambodge (en ce qui concerne son avenir) rencontrerait si vos compagnies se livraient à certaines activités, telles que les coupes extensives des arbres des forêts cambodgiennes (coupe non suivies d’un reboisement obligatoire, extensif et méthodique), l’exploitation intensive des ressources piscicoles dans nos lacs, fleuves et mers, le commerce des objets d’art antiques (d’Angkor, etc.…).

 Le régime de Hun sen permet la destruction des forêts du Cambodge. Cette destruction qui se poursuit à une cadence accélérée a déjà contribué (fortement) au changement du régime des pluies, au déséquilibre croissant entre les éléments positifs et les éléments négatifs de l’écologie au Cambodge, jadis pays exportateur de céréales, poissons, fruits et bétail, aujourd’hui importateur de nourriture et mendiant d’aides humanitaires et « demain » un pays aride et stérile, ne pouvant plus survivre par lui-même. (…)

 Pour 90 % au moins de Cambodgiens et Cambodgiennes à l’intérieur et à l’extérieur du Cambodge, la « légalisation » par vos soins du régime pro-vietnamien de Hun Sen voudra dire que vous sacrifiez cyniquement le Cambodge sur l’autel du colonialisme vietnamien, de la vietnamisation du Cambodge et de l’intégration à long terme (comme cela s’est passé, au 19ème siècle, avec le Kampuchea Krom), l’intégration à long terme, dis-je, du Cambodge actuel dans le Grand Vietnam, ce dont avaient toujours rêvé les Empereurs vietnamiens et, après eux, HO CHI MINH. (…)

 Vous savez que plus de 90 % des Cambodgiens et Cambodgiennes n’admettent pas le communisme au Cambodge ; même pas le communisme « libéra à Hunsénienne ».

 Au moment où en Roumanie on met hors la loi le Parti communiste roumain, au moment où tant d’autres Pays de l’Europe de l’Est se décommunisent vigoureusement (…), vous n’hésitez pas à embrasser le régime communiste, marxiste-léniniste, hochiminhien (…) de Hun Sen , Heng Samrin, Chea Sim.

 Et c’est au nom de Droits de l’Homme et des idéaux du Monde libre que vous allez consolider le communisme Vietnamien dans un Cambodge profondément nationaliste, foncièrement anti-communiste et « viscéralement » neutraliste. (…)

 À cet égard, je peux vous assurer que les patriotes Cambodgiens et Cambodgiennes ne vous en remercieront pas. (…)

 NORODOM SIHANOUK

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12 mars 2010 5 12 /03 /mars /2010 13:57

 Première Partie.

Auteur : Bun Chan Mol (Texte en khmer). Traduction et adaptation en français par Sangha OP

 

Introduction :

 Nous, les combattants pour l’indépendance du Cambodge, nous retrouvons à Phnom-Penh, après notre libération de la prison française par la force japonaise. Les Japonais continuait de nous aider et de soutenir notre cause. Le 8 février 1945, les alliées bombardèrent la ville de Phnom-Penh. Cette attaque aérienne fit réagir l’armée japonaise, stationnée en Indochine : le 9 mars 1945, elle décida d’arrêter tous les Français.

Au moi de mai 1945, le gouvernement japonais fit venir Son Ngoc Than au Cambodge, après son exil au Japon à la suite de l’arrestation d’Archa Hem Chieu. La nuit du 8 au 9 mai, la jeunesse khmère et les militaires forcèrent le gouvernement Ung Hy, au solde de l’autorité française, à démissionner. Le 14 mai, Son Ngoc Thanh fut nommé Président du Conseil des Ministres.

Nous étions content de cette nomination, sans plus, parce que nous sommes conscients que tôt ou tard, les alliées vont gagner la guerre contre les Japonais et les Français vont revenir en Indochine. Si c’était le cas, nous nous disons, nous battrons pour libérer le Cambodge des griffes françaises. Si nous ne pouvions pas combattre sur notre sol, nous partirons en Thaïlande et au Vietnam pour continuer notre lutte contre la France coloniale. Ce qui doit être arrivé, arrivera. Le 16 octobre, Son Ngoc Thanh fut arrêté par l’autorité française. Les membres de notre groupe étaient aussi recherchés par la police française.

Comme prévu dans notre plan, Messieurs, Pak Choeun, Chao Seng Kosal, alors gouverneur de la province de Kampong Cham, Madame Lam Thi Ouk, épouse de Son Ngoc Thanh et les autres membres, furent partis se cacher dans la région de Basac (Kampuchéa Krom). Quant à moi, je fus parti à Battambang chez mon oncle, nommé Pok Koun, dit Trâlach. À  cette époque, la province de Battambang était occupée par la Thaïlande. La frontière khmère se trouvait à Svay Daun Kev.

À partir de là, je vais vous raconter mes activités à Battambang et celles des Khmers Libres (Khmers Issarak). J’ai constaté que les activités des Khmers Issarak sont opposées au but recherché par les hommes politiques, qui luttent pour la libération du pays et les idées des membres fondateurs de ce mouvement. Ces défauts me donnent une grande déception jusqu’à ce jour. Pour cette raison, j’ai écrit cet essai pour raconter les attitudes des Khmers Issarak. J’ai donné le titre à mon essai les « mœurs khmères », parce que les attitudes des Khmers Issarak s’inscrivent dans nos mœurs.

Au crépuscule de mon âge, je voudrais dédier mon dernier œuvre à mes compatriotes de la République Khmère pour qu’ils puissent y réfléchir et éviter à utiliser, comme dans le temps passé,  la violence comme moyen de régler les différends entre les Khmers.

Je souhaite bonheur à la République khmère et que la justice soit la base de son développement.

Phnom-Penh, 26 février 1973

Bun Chan Mol


1. Mon exil

Nous sommes en 1945. Le 16 octobre, à 11 heures, la force des alliées est venu encercler la résidence du gouvernement pour arrêter M. Son Ngoc Thanh, Président du Conseil des Ministres. Ayant appris cette nouvelle, j’ai décidé immédiatement de quitter le pays. Cette éventualité a déjà été prévue dans notre plan. J’ai organisé avec les membres de ma famille le plan en détail de ma fuite de la capitale. Le lieu de refuge sera chez mon oncle, nommé Trâlach, à Battambang. Cette province était sous le contrôle du gouvernement thaïlandaise. Je partirai seul. Pour quitter Phnom-Penh, il faut que je prenne tous les précautions pour éviter d’être arrêté par la police. En effet, je ne dois pas quitter la capitale par l’Ouest, parce que par là, il y ait beaucoup des agents de sûreté français qui guettent les membres du Mouvement antifrançais pour les arrêter. Il faut donc passer par le Grand lac (Kompong Cham) pour quitter la capitale, et ensuite de revenir à Prek Kdam par des petits chemins pour reprendre la nationale n° 6, qui fait Phnom-Peng-Battambang. L’avantage de ce détour est double : Une possibilité d’alerter les autres membres du mouvement dans cette région sur les événements politiques récents, et de les informer sur ma décision de quitter le pays pour continuer la lutte. Le chemin de fuite doit passer par le district de Tonlé Bèt où habite mon frère, Bun Chan Than, gérant d’une station d’essence de la compagnie Shell.  De là une voiture avec chauffeur, qui me conduira à Battambang en passant par Prek Kdam.

Avant de quitter chez moi, j’ai pris deux pièces d’or et un pistolet, je les ai cachés sous mon pantalon autour de ma hanche. Cet or me serve comme monnaie d’échange pour mes besoins à Battambang. Cette nuit, j’ai décidé de passer la nuit hors de chez moi. J’ai pris mon vélo de course pour aller à Chbar Ampeuv. Là-bas, mes parents ont une grande ferme de culture des maraîchères. J’ai passé ma nuit dans cette ferme. Le lendemain matin, j’ai repris mon chemin en vélo sur la route Phnom-Peng – Prey Nokor, en traversant les districts Prek Ek et Koki. En suite, j’ai quitté la route principale pour la direction du Nord et traversé le fleuve par la barque pour rejoindre l’autre rive de Lovear Em. Arrivé de l’autre côté du fleuve, j’ai repris mon chemin en logeant le fleuve à destination Prek Laung. Je suis arrivé à Prek Laung vers 13h. Dans ce lieu, j’ai pris mon repas. Après quoi, je suis allé chez mon ami, nommé Khan pour lui informer des nouvelles de Phnom-Penh, en particulier de l’arrestation de Son Ngoc Thanh par les français. Mais, j’ai vu que Khan en est déjà au courant. C’est vraiment un homme avisé. Il mérite donc d’être complimenté. Il ne me reste à dire à Khan que ce dont est vrai. Après quoi, je l’ai informé de ma décision de partir à Battambang pour continuer la lutte : Je partirai à Prek Kdam demain matin, parce qu’une voiture m’attendra là-bas pour me conduire à Battambang. Khan m’a écouté en secouant la tête, après quoi il me dit : « Mon petit frère, le mieux, c’est de prendre le bateau pour aller à Prek Kdam, parce que le chemin est long et difficile en vélo. Ce soir tu dors chez moi et le lendemain, tu prendras le bateau à 6h du matin ». J’acceptait immédiatement son conseil.

Le lendemain matin, mon ami Khan m’a accompagné au port. Au quai, en voyant le bateau arrive de loin, il commençait à me souhaiter de beaucoup de choses, en particulier de vivre heureux à Battambang pour continuer la lutte pour libérer le pays de l’occupation française. Je l’ai répondu en levant mes deux mains jointes à la tête pour recevoir ses vœux de tout mon cœur. Après quoi, J’ai porté mon vélo sur mes épaulee, j’ai monté à bord du bateau avec beaucoup de chagrin de quitter mon ami Khan. Le bateau quitta le port, mais nous continuons de nous regarder jusqu’à que nous ne nous voyons plus.

Le bateau à vapeur, brûlé avec les bois, se glissa en avant sur l’eau calme. Il me faisait vibrer mon corps. Tout près de moi, je voyais les vagues qui courent dans le sens inverse de l’avancement du bateau et ils s’éloignaient de moi rapidement. De temps en temps, un sifflet pour annoncer une escale. Il y en a beaucoup, à Prek Prasap, à Rokakâok, à Prek Por, à Peam Chhikhân etc. Vers 10h, je suis arrivé à Prek Bèt. J’ai descendu du bateau en portant mon vélo et j’ai filé chez mon frère, Bun Chan Than. Arrivé chez mon frère, j’ai raconté à mon frère tout ce que je dois lui raconter. J’ai passé la nuit chez lui avec beaucoup de précaution. Le lendemain matin, mon frère m’a accompagné à Kampong Cham pour un rendez-vous avec les membres de notre famille, qui sont venus pour me conduire à Pursat : mes neveux, ma nièce Ponn Gha et ma sœur. Mes trois neveux, Chhoun Chheun, Chhoun Mom, Chhoun Prasith. Ces trois ont amené une voiture Citroën de type 10 chevaux. J’ai mis mon vélo dans le coffre de cette voiture et nous avons dit au revoir à mon frère Bun Chan Than, après quoi, nous avons monté tous dans la voiture, nous avons fait demi-tour pour reprendre la direction de l’Ouest. Dans la voiture, mes neveux m’ont raconté qu’hier soir les agents de police sont venus me chercher chez moi à Vat Onalaum. Ma famille dit aux policiers que je ne suis pas à la maison. Ils faisaient demi-tour sans fouiller la maison. Quand j’ai entendu ça, je me dis que j’ai bien fait de m’enfuir, sinon la prison Koh Tralâch sera ma prochaine destination. Je pense aussi aux amis français qu’ils m’ont toujours dit quand les alliées gagnent les Japonais, les Français vont revenir en Indochine, ils m’arrêteront et aussi tous mes compagnons pour nous jeter à nouveau en prison. Ils m’ont dit ça le jour qu’ils m’ont vu à Phnom-Penh après ma libération de prison de Koh Tralâch par les Japonais.

Quand nous sommes proche de Prek Kdam, j’ai demandé à ma famille de me laisser descendre de la voiture en leur demandant de traverser le fleuve par chaland sans moi. Nous avons fixé le lieu de rendez-vous dans un hameau tout près du district de Kampong Laung. Je les dis qu’il faut qu’on évite être ensemble à l’embarcadère de Prek Kdam, c’est une question de prudence. Nous avons traversé le fleuve séparément : les membres de ma famille ont traversé le fleuve par chaland quant à moi, j’ai poursuivi mon chemin en vélo en longeant le fleuve vers le nord jusqu’à un lieu qui se trouve en face du lieu de rendez-vous, mais de l’autre côté du fleuve. Là-bas, j’ai cherché une barque pour me faire traverser le fleuve. Une chance qui me sourit, parce que j’ai pu traverser le fleuve rapidement. Arrivé de l’autre côté de la rive, j’ai attendu ma famille. Quelque temps plus tard, la voiture arriva, j’ai monté dans la voiture et nous poursuivons notre chemin. Aujourd’hui, quand je pense à cela, je me dis qu’il était quand même très compliqué.

Nous avons roulé jusqu’à la province de Pursat. Je rappelle aux lecteurs qu’à cette période, la province de Battambang et Siemreap étaient sous le contrôle thaïlandais et la frontière khmère se trouvait à Svay Daun Kev. Nous avons poursuivi notre chemin jusqu’à la sous-préfecture de Trapaink Chhork. À environ de 7 km du lieu dit, il y a un endroit déserte, nous arrêtons la voiture, j’ai pris mon vélo et à ce moment précis, j’ai pensé que : « c’est y est, je vais me séparer de mes chers. Je dois continuer tout seul mon chemin ». J’ai dit au revoir à tout monde en leur demandant de s’occuper bien de la famille. J’ai rajouté que je ne sais pas quand je pourrais revenir au pays, parce que dans la lutte, je pourrais être tué. J’ai dit à mes neveux, Chhoun Chheun, Mom et Prasith qu’il faille bien travailler à l’école afin de pouvoir aider plus tard le pays. Ils m’ont répondu que mon souhait précieux sera respecté à la lettre. Ils m’ont souhaité que je sois heureux dans mon exil afin de servir la nation jusqu’à la victoire finale. J’ai écouté leurs vœux avec sourire, mais mon cœur était envahi par le chagrin. Nous avons continué de parler pendant au moins 20 minutes, parce que c’était très difficile de nous séparer. J’ai monté sur mon vélo et pris mon chemin d’exil. Je me suis retourné la tête pour regarder les membres de ma famille : Tous sont entrain de me regarder aussi. J’ai continué à pédaler et me suis retourné la tête la dernière fois pour les regarder en faisant le signe de main d’au revoir, ils m’ont répondu en agitant leurs siennes. Cette séparation était une tristesse indescriptible, parce que je ne savais pas quand je pourrai revenir au pays. Cet exil est pour moi une obligation pour servir mon pays. Il était aussi une première pour moi.

À peu près deux heures de route en vélo, je suis arrivé au chemin d’entrée à la pagode Svay Daun Kao. J’ai fait une visite à ce lieu saint pour saluer la statuette du Bouddha et ensuite, j’ai cherché quelqu’un qui puisse m’aider à traverser le fleuve. C’était un souvenir inoubliable, parce que pendant la traversée, quand la barque se trouve à la frontière thaïlandaise, j’ai entendu une voix humaine venant d’une maison tout très du passage de ma barque qui dit : « Ce vélo est magnifique ». Cependant, je me dis avec une appréhension que ça y est, je vais avoir une affaire avec des brigands thaïlandais. Par instinct, j’ai mis ma main sur mon pistolet en regardant le rameur de la barque. Ce dernier me regarda et me dit en continuant de ramer, ce n’est rien. Arrivée à la rive, j’ai payé le rameur, monté sur mon vélo et continué mon chemin jusqu’à la ville de Battambang. À cette époque à Battambang, on roule à gauche, parce qu’en Thaïlande, on roule à gauche. Je suis arrivé à Maung Reusey vers 18h. Là-bas, j’ai cherché un ami, nommé Ta Teug pour lui demander de passer la nuit chez lui. Ta Teug était un orfèvre de Phnom-Penh, au marché Yek. Il a quitté la capitale au moment où il y a des agitations politiques pour venir s’installer à Maung Reusay. Ta Teug m’a accueilli avec beaucoup de joie et m’a autorisé à passer la nuit chez lui. Le lendemain matin, j’ai continué mon chemin à destination la ville de Battambang. Vers 11h, je suis arrivé chez mon oncle. Sa maison se trouvait au bout du pont de fer, du côté Ouest. Cette maison apparient à sa belle mère, appelée Mam Romay. Mon oncle m’a accueilli avec beaucoup de joie. Il m’a demandé :

-          As-tu rencontré Monsieur Pan Yink et Bun Chhan Thoun ?

-          J’ai lui répondu que non.

 J’ai expliqué à mon oncle que Monsieur Pan Yink est à Pursat. Il ne vient jamais à Phnom-Penh, parce qu’il a peur d’être arrêté par la police. Il est retourné ensuite à Bangkok pour vivre avec son fils, Pan Playman, employé dans une compagnie d’oxygène. Quant à Bun Chhan Thoun, interprète de Yink, il vit aujourd’hui à Phnom-Penh.

 Mon oncle m’a beaucoup félicité de ma décision de venir à Battambang. Il en a qualifié de décision intelligente. Il m’a dit qu’il faut créer un mouvement de libération nationale pour libérer le pays de l’occupation française. Je suis très content d’entendre ses propos, parce qu’il est aussi les miennes.

 La création du mouvement Khmers Issarak (Khmer libre) :

Chez l’oncle, Pok Koun, dit Ta Trâalach, j’ai commencé à répandre mes idées de créer un mouvement de lutte dont le nom est Khmers Issarak. « Issarak»  est un mot Pali, signifie en khmer « libre ». Mais nous voulons donner à une autre signification politique à ce mot :  « Khmers Issarak» : Khmers qui sont maître de soi, qui ne sont pas aux services des étrangers, Khmers indépendants, citoyens de son pays. Voilà notre façon de définir le nom de notre mouvement.

Quelque temps après, j’ai rencontré beaucoup des compatriotes venant de Phnom-Penh. Ils sont venus me voir pour me proposer leurs aides. Je me rappelais encore leur nom :

Hem Savâng, Hem savat, Sarou, Mi Phou, Prince Chhan Tarainsey, Chhieng, Chhan Taur Treste, Phan Say, Ros Yoeun, Ho, Ok Sann, Khan, Pom, Phauk Ni.

Il y en avait d’autres personnes dont je ne souviens plus leur nom. Je les prie donc, de m’en excuser.

Ils étaient logés et nourris par mes propres moyens dans une maison que j’ai louée pour eux. Quant à mon oncle, il a pris de contact avec Bangkok pour demander les aides du gouvernement thaïlandais.

Le gouvernement thaïlandais a donné enfin une autorisation d’ouvrir une base dans la commune d’Anglon, qui se trouve à environ de 5 km de la ville de Battambang. Ainsi, en 1946, nous avons pu créer officiellement le Mouvement Khmers Issarak. Au départ, il y a eu une bonne entente entre nous. Nous avons pu attirer beaucoup de volontaires, un peu plus de 100 personnes qui vivent en permanence dans notre base. Quelques mois plus tard, nous avons décidé de créer une section de renseignement pour répondre à l’espionnage des Français. Nous avons entendu que l’autorité Khméro-Française se prépare à reprendre Battambang. Cette autorité a envoyé des espions pour nous identifier. Il faut donc chercher les moyens pour identifier les leurs. Nous avons confié cette tâche à notre section de renseignement. Il faut dire que ce section a beaucoup créer des problèmes dans notre rang et n’était pas efficace, parce qu’il y avait certains de nos agents ont servi leurs attributions pour régler leurs affaires personnelles : Accuser des gens pour se venger. En outre, il y avait des abus de certains de nos instructeurs militaires sur les transfuges qui provoquaient le mécontent de ces derniers. Ils se plaignaient qu’il y ait trop de discipline, ils chuchotaient entre eux pour critiquer le mouvement. Ces transfuges étaient des Hay Ho, les soldats formés par les Japonais. En fait, ils ont contesté la méthode d’entraînement, et pourtant, nous ne faisons que recopier les méthodes japonaises : à 5 heures du matin, on fait le footing de 3 à 5 km et ensuite une heure de gymnastique avant de prendre le petit déjeuner. À peine 20 jours d’entraînement, les chefs de sections de Hay Ho commençaient à nous critiquer la méthode devant même leur troupe : « on perd le temps avec cette méthode et en plus le mouvement n’a même pas le fusil pour faire l’entraînement. Nous nous entraînons avec le fusil en bois, comment nous pouvions nous battre avec ça ? ». À force de les répéter, ces chefs arrivèrent à en convaincre leurs hommes et de les décourager complètement.

Je dis que cela est les « mœurs khmères ». Un peu de fatigue, ça y est, on critique pour critiquer tout simplement, sans savoir que cela pourrait avoir une conséquence désastreuse sur l’esprit d’union. Il faut savoir qu’à cette époque, le gouvernement thaïlandais nous a demandé de ne pas révéler l’existence de notre base à personne. En effet, à force d’en critiquer, il y ait un risque de révéler cette existence.

Nous avons une autre mauvaise habitude notoire : Pendant la réunion, nous nous mettions d’accords que tout ce que nous avons dit à réunion est classé comme une affaire ultra confidentielle. Mais, une fois, nous sortons de la réunion, cette affaire ultra confidentielle devient une affaire publique.

Pour préparer à résister le retour des Français et d’autorité khmère à Battambang, le gouvernement thaïlandais a commencé à nous armer : 4 mitrailleuses, 20 mousquetons, 3 à 4 pistolets.

Pourquoi, le gouvernement thaïlandais nous donne les armes ? Sur ce point, nous sommes conscients qu’il a fait, parce qu’il a l’intention de nous utiliser comme chair à canon contre les français et contre nos compatriotes. Mais, nous n’étions pas naïfs, nous avons accepté ses armes, mais nous n’avions jamais l’intention de les servir pour tuer nos compatriotes khmers. Notre seul objectif, c’était de nous battre contre les Français. Depuis, nous avons les armes, le moral de nos combattants commence à s’améliorer. Ils ont envie de se battre. Chaque jour, j’ai reçu les demandes des combattants pour partir en guerre. Je leur ai toujours répondu, il faut attendre que nous ayons plus d’armes et qu’ils doivent continuer leurs formations militaires.

Mon oncle, Ta Tralâch, allait souvent à Bangkok pour demander davantage d’aides du gouvernement thaïlandais pour notre mouvement. Celui-ci a accepté de nous donner 50 fusils de plus. Il faut comprendre qu’à cette époque le gouvernement thaïlandais avait vraiment de nous pour protéger les provinces occupées.  Mais dans sa stratégie de nous fournir en compte-goutte ses aides, c’est d’abord pour mieux nous contrôler et montrer qu’il continue de nous aider tout temps. Cela nous obligeait de reconnaître sa bonté en permanence.

Voilà la méthode thaïlandaise depuis toujours. Je me pose la question, aujourd’hui, notre pays est guerre contre les communistes.  Quelles sont les aides du gouvernement thaïlandais pour notre pays ?

Dap Chhoun 

Monsieur Dap Chhoun était un ancien sous-officier de l’armée Khméro-Française qui avait combattu contre les thaïlandais. À l’époque, le gouvernement thaïlandais avait fait une propagande, adressée à tous les sous-officiers khmers dans les rangs des Français de déserter leurs unités pour rejoindre son armée. Ils seront promus en contrepartie au grade d’officier, sous-lieutenant. Séduit par cette promesse, Dap Chhoun déserta pour partir en thaïlande. Il fut bien accueilli, en effet, par l’armée thaïlandaise. Dap Chhoun  en était très content et attendait en vain sa promotion. Quelque temps plus tard, l’autorité thaïlandaise avait confié à Dap Chhoun, une mission de surveillance de frontière à Svay Chheak, alors ce hameau était sous le contrôle du gouvernement thaïlandais.

Le temps passant, Dap Chhoun commençait à perdre sa patiente d’attendre sa promotion. Il faisait savoir aux autres khmers qu’il comptait retourner au pays pour servir le Mouvement Khmers Issarak Quelques de temps plus tard, Dap Chhoun fut contacté par mes hommes pour son ralliement à la force Khmers Issarak. Au jour fixé, Dap Chhoun, son épouse et son fils (ce fils vit actuellement en Inde), quittèrent Svay Chheak à destination Ang Long Veûl, base des Khmers Issarak. Quand il m’a vu de loin, Dap Chhoun rampait devant moi en me suppliant de lui donner une chance de servir dans les rangs des Khmers Issarak. Je me précipita de lui lever et lui dis : « Vous ne deviez pas vous comporter ainsi avec moi, je ne suis pas un être supérieur que vous. Je suis déjà content que vous soyez avec nous pour nous battre contre les Français ». Ce dernier me remercia en m’appelant Lauk Meas (Monsieur Maître). Je n’exagère pas de ces propos. Plus tard, quand Dap Chhoun devenait une personnalité importante dans le paysage politique khmère, il me traitait comme un inférieur. C’est ça les mœurs khmers.                         

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28 février 2010 7 28 /02 /février /2010 09:34

Histoire du Cambodge : Tchen-La.
(Extrait du livre de G. Coedès - Les États hindouisés de l’Indochine et d’Indonésie)
 

Tchen-la (Etat vassal du Fou-nan ) :

Les rois connus (Milieu du Vie siècle) :

Çrutavarman.

Çreshthavarman (fils de Çrutavarman).

Fou-nan :

Bhavavarman (598 - ?) : (prince du Fou-nan, marié avec la fille de Çreshthavarman). Par ce mariage, il devient roi de Tchen-la. Et avec son cousin Chetrasena, il conquiert une grande partie du Fou-nan.

Tchen-la (Etat indépendant et conqérant) :

Mahadravarman (non de sacre de Chetrasena). Il prit la succession du trône en 600.

Içânavarman (fils de Mahadravarman. Date de fin de règne 635) : Fils de Mahadravarman.

Jayavarman 1er : (durée de règne : trente ans. Fin de règne après 681).

Sécession du Tchen-la en deux au VIIIe siècle : Tchen-la de terre et Tchen-la d’eau.

Techen-la de terre (partie septentrionale) : Période de trouble.

Reine Jayadevî  (vers 713 - ?) : Fille de Jayavarman 1er. Celui-ci est mort sans héritier mâle.

Pusshkara ou Pushkarâsha (vers 716 - ?) : rois dans Çambhupura.

Tchen-la d’eau (partie méridionale) : Le pays est divisé en plusieurs principautés.

Bâlâditya (date indéterminée) : il était considéré plus tard par les rois d’Angkor comme l’ancêtre.


Le démembrement du Fou-Nan (du milieu du VIe siècle à la fin du VIIe siècle)
.

 

La dernière ambassade en Chine de Rudravarman est de 539. La Nouvelle Histoire des T’ang mentionne encore des ambassades du Fou-Nan dans la première moitié du VIIe siècle, mais elle indique qu’entre temps un grand changement s’est produit dans le pays : « Le roi avait sa capitale à la ville de T’ö-mou. Brusquement sa ville a été réduite pat le Tchen-La, et il lui a fallu émigrer au Sud, à la ville de Na-fou-na ».

Le plus ancien texte qui mentionne le Tchen-La est l’Histoire des Souei : « Le Royaume est au Sud-Ouest du Lin-Yi. C’était originairement un royaume vassal du Fou-nan. Le nom de famille du roi était Tch’a-li (Kshatriya) ; son nom personnel était Tche-to-sseu-na (Chitrasena) ; ses ancêtres avaient progressivement accru la puissance du pays. Chitrasena s’empara du Fou-nan et le soumit ».

Le nom de Tchen-la, par lequel les Chinois désignent d’une façon constante le Cambodge, reste inexpliqué : On ne connaît aucun mot sanskrit ou khmèr qui corresponde à sa prononciation ancienne t’sien-lâp. Mais on peut localiser le centre de cet État sur le moyen Mékong, dans la région de Bassak qui à la fin du Ve siècle devait se trouver sous la domination du Champa, puisqu’on y a trouvé une stèle portant une inscription sanskrite au nom du roi Devânîka, connu des Chinoissous le nom de Fan-Chan-tch’eng.

En effet, l’Histoire des Souei, qui donne des renseignements antérieurs à 589, donc antérieurs à la conquête totale du Fou-nan et au transfère de la capitale du Tchen-la dans le Sud, fit : « Près de la capitale est une montagne nommée Link-kia-po-p’o, au sommet de laquelle s’élève un temple toujours gardé par mille soldats et consacré à l’esprit nommé P’o-to-li, auquel on sacrifie des hommes. Chaque année, le roi va dans ce temple faire lui-même un sacrifice humain pendant la nuit ».

La montagne de Vat Ph’u qui domine le site de Bassak porte à son sommet un gros bloc de pierre, analogue à celui qui a valu au Varella à la fois son nom chinois de Ling (Lingaparvata), et son nom européen actuel qui, dans les documents portugais, est employé pour désigner les pagodes. Quant à P’o-to-li, on peut y reconnaître les deux premières syllabes de Bhadreçvara qui était précisément le nom du dieu vénéré à Vat Ph’u.

D’après leur légende dynastique conservée dans une inscription du Xe siècle, l’origine des rois du Cambodge remonterait à l’union de l’ermite Kambu Svâyambhuva, ancêtre éponyme des Kambujas, avec la nymphe céleste Merâ, que lui avait donné un mythe généalogique des Pallas de Kânchi (Conjeveram) entièrement différent de celui de la Nâgi.

Du couple Kambu-Merâ naquit une lignée de rois dont les premiers furent çrutavarman et son fils çreshthavarman. Le second donna son nom à la ville de çrehthapura, qui existait encore à l’époque angkorienne, au moins comme nom d’un district situé dans la région de Bassak. La fondation de cette cité fut peut-être la conséquence de la conquête du pays sur les Chams à la fin du Ve siècle ou au début du Vie siècle, conquête dont le souvenir s’est conservé jusqu’à nos jours dans la tradition orale des Cambodgiens, d’après laquelle leur pays se serait originellement constitué aux dépens des Chams de Champasak (Bassak). Les rois çruttavarman et çreshthavarman auraient toujours d’après la même inscription, « rompu à l’origine les liens du tribut », c’est-à-dire atteint un degré d’indépendance plus au moins réelle vis-à-vis du Fou-nan, ou, comme dit le texte chinois, « accru progressivement la puissance du pays ». Ils sentent assez forst, dans la seconde moitié du VIe siècle, pour s’attaquer à l’empire du Sud. Le roi du Tchen-la était alors Bhavavarman, petit fils du monarque universel (sâvabhauma), c’est-à-dire du roi Fou-nan. Un texte épigraphique, tardif il est vrai, mais dont on n’a pas de raison de révoquer le témoignage, ajoute ce détail important qu’il était l’époux d’une princesse issue de la famille maternelle de çreshthavarman, la princesse Kambujarâjalaksmî, dont le nom signifie « la fortune des rois des Kambujas ».

Bhavavarman, dont la résidence Bhavapura devait se trouver sur la rive septentrionale du Grand Lac, appartenait donc à la famille royale du Fou-nan et était devenu roi du Tchen-la par son mariage avec la princesse de ce pays. On comprend alors pourquoi l’inscription du Xe siècle précitée dit que la descendance de Kambu unit la race solaire, dont elle se réclamait, à la race lunaire, qui était celle du Fou-nan. On comprend aussi pourquoi, après çrutavarman et les descendants de Kambu, elle fait régner les rois qui tiraient leur origine de Kaundinya et de Nâgî Somâ et avaient pour chef de branche Rudravarman, c’est-à-dire des rois Fou-nan. On comprend enfin pourquoi les rois du Tchen-la, successeurs de ceux du Fou-nan, adoptèrent la légende dynastique de Kaundinya et de la Nâgî. En fait, ils ne firent que conserver leur propre bien, puisque Bhavavarman était lui-même un prince du Fou-nan.

À la suite de quelles circonstances réussirent-ils à faire passer la souveraineté du fou-nan au Tchen-la ?. Si, comme il est vraisemblable, l’occasion leur en fût donné par l’irrégularité de l’avènement de Rudravarman, fils d’une concubine et meurtrier de l’héritier légitime, deux hypothèses se présentent : ou bien Bhavavarman, représentait la branche légitime et profita de la disparition de Rudravarman pour faire valoir ses droits ; ou bien au contraire, Bhavavarman, petit fils de Rudravavarman, défendit les droits hérités de son grand père contre un essai de restauration de la branche légitime. Cette seconde hypothèse est le plus vraisemblable, car on comprendrait mal, dans la première, pourquoi Rudravavarman, dernier souverain d’un empire déchu, aurait pu être plus tard considéré comme un « chef de branche », tandis que dans la seconde, il représente précisément le lien par lequel Bhavavarman et ses successeurs se rattachaient au grand Fou-nan. A cela s’ajoutaient peut-être des motifs d’ordre religieux et un antagonisme entre le Bouddhisme de Rudravarman et le çivaïsme de Bhavavarman.

Le pèlerin chinois Yi-tsing qui écrivait à la fin du VIIe siècle, dit en effet qu’au Fou-nan, autrefois « la loi du Bouddha prospéra et se répandit, mais aujourd’hui un roi méchant l’a complètement détruite et il n’y a plus du tout de bonzes ». Si l’on se rappelle ce qui a été dit de la prospérité du Bouddhisme au Fou-nan aux Ve-Vie siècle, et si l’on considère que l’épigraphie des conqérants du fou-nan et de leur successeur est exclusivement çivaïte, on est tenté d’identifier Bhavavarman (ou Chitrasena) au « méchant roi » dit Yi-tsing.

Dans la seconde moitué du Vie siècle, Bhavavarman et son cousin Chitrasena attaquèrent le Fou-nan et poussèrent leurs conquêtes au moins jusqu’à la hauteur de Kratié sur le Mékong, de Buriram entre Mun et dangrêt, et de Mongkolborei à l’Ouest du grand Lac, si l’on en juge par leurs inscriptions. Le Fou-nan dut transférer sa capitale de T’ö-mou (Vyâdhapura, c’est-à-dire Ba Phnom) dans une localité située plus au Sud et nommée Na-fou-na (Naravaragara). Divers indices tendent à placer cette ville à Angkor Borei, site archéologique fort riche en vestiges anciens, dont le nom et la topographie indiquent qu’il y eut là une capitale.

Sous couleur et à la frayeur d’une querelle dynastique, la conquête de Fou-nan par le tchen-la est en réalité un épisode, le premier auquel nous assistons au Cambodge, de cette « poussée vers le Sud » dont on a déjà vu le caractère latent et constante menace. Entre les terres hautes du plateau du moyen Mékong et les plaines alluviales du Cambodge, il y a la même opposition qu’entre les hautes et les basses vallées du Ménam ou de l’Irawadi. L’effort des rois, au Cambodge comme au Siam et en Birmanie, a constamment porté sur l’unification de deux régions en antagonisme géographique, économique et parfois ethnique, entre lesquelles la scission tendait à se reproduire chaque fois que le pouvoir central donnait des signes d’affaiblissement.

De Bhavavarman Ier, qui dit une inscription, avait « pris le pouvoir avec énergie », on ne possédait jusqu’à ces derniers temps qu’un seul document épigraphique, une inscription sanskrite des environs de Mongkolborei, qui commémore la fondation d’in linga. Une inscription sanskrite, récemment découverte à Si T’ep dans la vallée du Nam Sak en territoire siamois, relate la fondation par Bhavavarman de la stèle qui porte, à l’occasion de son accession au pouvoir. Sa capitale Bhavapura dont le nom semble avoir ensuite désigné le territoire de l’ancien Tchen-la, et notamment du Tchen-la de terre au VIIIe siècle, devait se trouver sur la rive septentrionale du Grand Lac, dans les environs du site archéologique d’Ampil Rolüm, à une trentaine de kilomètre au Nord-Ouest de Kompong Thom. On sait par combien de temps il régna, on sait seulement qu’il était roi en 598. C’est sans doute sous son règne que son cousin Chitrasena fit graver de courtes inscriptions sanskrites, relatant d’autres fondations de lingas le long du Mékong, dans les régions de Kratié et de Stung Trèng, et à l’Ouest de Buriram entre Mun et Dangrèk. C’est donc un domaine comprenant déjà de vastes territoires et s’étendant vers l’Ouest jusqu’à la vallée du Nam sak que Bhavavarman légua à Chitrasena, qui prit lors de son avènement, vers 600, le nom de sacre de Mahendravarman.

En dehors des inscriptions qu’il avait fait graver alors qu’il s’appelait encore Chitrasena, Mahendravarman en a laissé d’autres à l’embouchure du Mun dans le Mékong, et à Surin entre Mun de Dangrèk, relatant la fondation de lingas de çiva « montagnard » (Giriça) et d’images du taureau Nandin. Ces fondations ayant été faites à l’occasion de la « conquête de toute la contrée », on peut en conclure que Mahendravarman poursuivit l’œuvre de son prédécesseur. On sait, par ailleurs, qu’il envoya au Champa un ambassadeur pour « s’assurer » l’amitié entre deux pays ».

Le successeur de Mahendravarman, fut son fils îçânavarman. Il acheva d’absorber les anciens territoires du Fou_nan, ce qui a conduit la Nouvelle Histoire des T’ang à lui attribuer la conquête effective du pays. Tandis qu’on n’a pas trouvé d’inscription de Mahendravarman au sud de Kratié, on en possède d’ïçânavarman qui proviennent des provinces de Kompon Cham, de Prei Vèng, de Kandal et même de Takeo. Vers l’Ouest, le territoire relevant de son autorité au moins jusqu’à la plus ancienne date connue du règne d’ïçânavarman, qui ne doit pas être de beaucoup postérieure à son avènement, est celle de sa première ambassade en Chine 616-517, la dernière date sûre est celle d’une inscription qui le nomme comme roi régnait en 627.

L’ancienne Histoire des T’ang qui mentionne à la suite l’une de l’autre deux ambassades en 623 et 628, permet de penser qu’il régnait encore à cette dernière date, et la Nouvelle Histoire des T’ang lui attribuant la conquête du Fou-nan au début de la période 627- 649 laisse supposer que son règne dura au moins jusqu’à 635.

La capitale d’îçânavarman se nommait îçânapura, et c’est sous ce nom qu’au milieu du VIIe siècle, le grand pèlerin Hiuan-tsang désignait le Cambodge. On identifie avec quelque vraisemblance cette ville avec le groupe de Sambor Prei Kuk, au nord de Kompong Thom, où les inscriptions d’îçânavarman sont particulirement nombreuses, l’une d’elles mentionnant d’ailleurs îçânapuri. C’est du Phnom Bayang dans la province de Takeo.

Continuant la politique de son père à l’égard du Champa, il entretint avec ce pays de bons rapports qui furent scellés, comme on va le voir, par une alliance matrimoniale entre deux maisons royales.

Le Cambodge préangkorienne (635-685).

Après îçâvavarman Ier qui cessa de régner vers l’an 635, les inscriptions du Cambodge nous font connaître un roi nommé Bhavavarman dont on ignore les liens de parenté avec son prédécesseur. La seule inscription datée qu’on possède de lui est de 639 et provient de la région de Takeo. On peut avec quelque vraisemblance lui attribuer celles de la grande tour du Phnom Bayang et Phnom-Preah de Kompong Ch’nang. C’est sans doute lui, et non Bhavavarman Ier comme on l’a cru longtemps, qui est mentionné dans les deux premières inscriptions publiées dans le recueil de Bart et Bergaine.

Ces deux textes parlent d’un fils de Bhavavarman qui lui aurait succédé. Il doit s’agir de Jayavarman Ier dont la plus ancienne date connue est 657, et ce roi commença peut-être à régner quelque année plus tôt. Les inscriptions gravées pendant son règne ont été trouvées sur un territoire s’étendant de Vat Ph’u au nord, au golfe du Siam au sud ; il fit des fondations dans la région de Vyâdhapura (Ba Phnom) et aux vieux sanctaire du Lingaparvata à Vat Ph’u. En ce qui concerne ses relations avec la Chine, l’ancienne Histoire des T’ang parle en termes très généraux d’ambassade du Tchen-la reçues par l’empereur Kao Tsong T’ang (650-683), sans en préciser les dates. Le règne de Jayavarman, qui se plaint du « malheur des temps ». Les premiers souverains d’Angkor ne se réclamaient pas de la dynastie de Jayavarman Ier, dont la chute fut apparemment la cause déterminante de la sécession au VIIIe siècle. Des conquêtes de Bhavavarman Ier à la fin du règne de Jayavarman Ier, on constate l’affermissement progressif du pouvoir des rois khmers sur les territoires de l’ancien Fou-nan situés dans la vallée du bas Mékong et le bassin du grand Lac. De cette époque « préangkorienne » de l’histoire du Cambodge subsistent de nombreux vestiges archéologiques : monuments, sculptures, inscriptions. L’architecture, caractérisée par des tours isolées ou groupées, presque en brique avec des encadrements de portes en pierre, a été étudiée de façon exhaustive par H. Parmentier dans son Art Khmer primitif. La statuaire, qui a produit quelques pièces remarquables, conserve certains traits des prototypes hindous, mais elle montre déjà les tendances à la raideur et à la frontalité qui caractérisent l’art du Cambodge par rapport à celui des autres pays de l’Inde extérieure. La sculpture décorative manifeste déjà une richesse qui laisse pressentir l’exubérance de la période angkorienne.

Les inscriptions gravées sur des stèles ou sur les piédroits des portes sont rédigées dans une sanskrite assez correcte, et toujours en langage poétique. Les inscriptions en khmer, qui commencent à faire leur apparition en assez grand nombre, ont conservé un état archaïque de cet idiome qui depuis quatorze siècles a subi des changements beaucoup moindres que les langues indo-européennes pendant le même temps. Ces textes épigraphiques constituent la principale source d’information sur l’histoire et les institutions du pays. Ils révèlent une administration fortement organisée, et toute une hiérarchie de fonctionnaire dont on connaît mieux les titres que les attributions.

C’est surtout la vie religieuse qu’ils font connaître. Leurs stances liminaires, contenant une prière adressée aux divinités sous l’invocation de qui la fondation est placée, sont à cet égard très instructives. Les principales sectes hindouistes semblent avoir coexisté au Cambodge comme dans l’Inde propre, et parmi elles on trouve déjà mentionnées la secte çivaïte des Pâçupatas et la secte visnouite des Pâcharâtras qui joueront à l’époque d’Angkor, chacune dans sa sphère, un rôle de premier plan. L ‘épigraphie et l’iconographie s’accordent pour marquer l’importance à cette époque, et au siècle suivant, d’un culte de Harihara ou vishnu-çiva réunis en un seul corps, dont on n’entendra plus guère parler ensuite. Le culte de çiva, surtout sous la forme du linga, jouit de la faveur royale et fait déjà presque figure de religion d’Etat. Quant au bouddhisme qui n’a guère laissé, en dehors des Bouddhas de style Gupta mentionnés à propos du Fou-nan, qu’une unique inscription nommant deux moines (bhikshu), il semble être en régression, si l’on se rappelle la faveur dont il jouissait au Fou-nan aux Ve-VIe siècles. Bien qu’il rapporte son témoignage au fou-nan (appelé par lui Po-nan), c’est sans doute Tchen-la que le pèlerin chinois Yi-tsing a en vue vers la fin du VIIe siècle lorsqu’il écrit : « La loi du Buddha prospéra et se répandit. Mais aujourd’hui un roi méchant l’a complètement détruite et qu’il n’y a plus du tout de bonzes ». La culture littéraire dont font foi les inscriptions sanskrites était basée sur les grandes épopées hindoues, Râmâyana et Mahâbhârata, et sur les Purânas qui fournissaient aux poètes officiels leur riche matière mythologique.

Au point de vue social, quelques textes épigraphiques montrent l’importance de la filiation en ligne maternelle que l’on retrouvera à l’époque d’Angkor à propos de la transmission des retrouvera à l’époque d’Angkor à propos de la transmission des charges dans plusieurs grandes familles sacerdotales. La constitution matriarcale de la famille est un système répandu dans toute l’Indonésie, et pratiqué par divers groupes ethniques d’Indochine. Dans l’ancien Cambodge, il peut avoir été importé de l’Inde où il est attesté chez les Nâyars et les brahmanes Nambutiri.

Pour la connaissance de la civilisation matérielle au Cambodge durant le VIIe siècle, on dispose d’un passage de l’Histoire des Souei qui se rapporte au règne d’ïçânavarman et qui a été reproduit intégralement par Ma Touan-lin dans son ethnographie des peuples étrangers à la chine composée au XIIIe siècle. Traduction du Marquis d’Hervey de Saint-Denys : « Ce prince fait sa résidence dans la ville de Y-chö-na, qui comporte plus de vingt mille familles. Au milieu de la ville a une grande salle où le roi donne audience et tient sa Cour. Le royaume renferme encore trente villes, peuplées chacune de plusieurs milliers de familles, et toutes régies par un gouverneur ; les titres des fonctionnaires de l’Etat sont les mêmes que dans le Lin-yi . Tous les trois jours, le roi se rend solennellement à la salle d’audience et s’assied sur un lit fait des cinq espèces de bois de senteur et orné des sept choses précieuses. Au-dessus du lit s’élève un pavillon tendu de magnifiques étoffes, dont les colonnes sont en bois veiné et les parois en ivoire parsemé de fleurs d’or. L’ensemble de ce lit et de ce pavillon forme en quelques sortes un petit palais, au fond duquel est suspendu, comme au Tch’ e-t’ou, un disque à rayon d’or en forme de flammes. Un brûle-parfums d’or, que deux hommes entretiennent, est placé en avant. Le roi porte une ceinture de coton ki-pei, rouge d’aurore, qui lui tombe jusqu’aux pieds. Il couvre sa tête d’un bonnet chargé d’or et de pierreries, avec des pendants de ces perles. A ses pieds sont des sandales de cuir et quelquefois d’ivoire ; à ses oreilles, des pendants d’or. Sa robe est toujours faite d’une étoffe blanche très fine appelée pe-tie. Quand il se montre la tête nue, on n’aperçoit pas de pierres précieuses dans ses cheveux. La coutume des grands officiers est presque semblable à celui du roi. Ces grands officiers, ou ministres, sont en nombre de cinq. Le premier a le titre de kou-lo-yeou (guru ?). Les titres des quatre autres, dans l’ordre du rang qu’ils occupent, sont ceux de siang-kao-ping, p’o-ho-to-ling, chö-mo-ling et jan-lo-leou. Le nombre des officiers inférieurs est très considérable ».

«  Ceux qui paraissent devant le roi touchent trois fois la terre de leur front, au bas des marches du trône. Si le roi les appelle et leur ordonne de monter les degrés, alors ils s’agenouillent en tenant leurs mains croisées sur leurs épaules. Ils vont ensuite s’asseoir en cercle autour du roi, pour délibérer sur les affaires du royaume. Quand la séance est finie, ils s’agenouillent de nouveau se prosternent et se retirent. Plus de mille gardes revêtus de cuirasses et armés de lances sont rangés au pied des marches du trône, dans les salles du palais, aux portes et aux péristyles ».

« Les fils de la reine, femme légitime du roi, sont seuls aptes à hériter du trône. Le jour où le nouveau roi est proclamé, on mutile tous les frères. A l’un on ôte un doigt, à l’autre on coupe le nez. Ensuite on pourvoit à leur subsistance, chacun dans un endroit séparé, sans jamais les appeler à aucune charge ».

« Les hommes sont de petite stature et ils ont le teint noir ; mais beaucoup de femme ont le teint blanc. Tous roulent leurs cheveux et portent des pendants d’oreilles ? Ils sont d’un tempérament vif et robuste. Leurs maisons et les meubles dont ils se servent ressemblent à ceux du Tch’e-t-ou. Ils regardent la main droite comme pure et la main gauche comme impure. Ils font des ablutions chaque matin, se nettoient les dents avec petits morceaux de bois de peuplier et ne manquent pas de lire ou réciter leurs prières. Ils renouvellent leurs ablutions avant de prendre leurs repas, font jouer leurs cure-dents en bois de peuplier aussitôt après et récitent encore des prières. Dans leurs aliments, il entre beaucoup de beurre, de lait caillé, de sucre en poudre, de riz et aussi de millet dont ils font une sorte de gâteaux qui se mangent trempés dans des jus de viande, au commencement des repas ».

« Celui qui désire se marier envoie tout d’abord des présents à la jeune fille qu’il cherche ; ensuite la famille de la jeune fille choisit elle-même un jour heureux pour conduire l’épouse au domicile de l’époux, sous garde d’un entremetteur. Les familles du mari et de la femme passent huit jours sans sortir. Jour et nuit les lampes demeurent allumées. Quand la cérémonie des noces est terminée, l’époux reçoit une part des biens de ses parents et va s’établir dans une maison à lui. A la mort des parents, si les défunts laissent de jeunes enfants qui ne soient pas encore mariés, ces enfants prennent possession du reste des biens ; mais si tous les enfants sont déjà mariés et dotés, les biens que les parents avaient conservés pour eux-mêmes entrent dans le trésor public. Les funérailles se font de cette manière : les enfants du défunt passent sept jours sans manger, se rasent la tête en signe de deuil et poussent de grands cris. La parenté s’assemble avec les bonzes et bonzesses de Fo ou les religieux du Tao, qui accompagnent le mort en chantant et en jouant de divers instruments de musiques. Le corps est brûlé sur un bûcher formé de toutes pièces de bois aromatiques ; les cendres sont recueillies dans une urne d’or ou d’argent qu’on jette dans les eaux profondes. Les pauvres font usage d’une urne de terre cuite, peinte de différentes couleurs. Il en est aussi qui se contente de déposer le corps au milieu des montagnes, en laissant aux bâtes sauvages le soin de le dévorer ».

« Le Nord du Tchen-la est un pays de montagne entrecoupées de vallées. Le Midi renferme de grands marécages, avec un climat si chaud que jamais on ne voit ni neige ni gelée blanche ; le sol y engendre des exhalaisons pestilentielles et fourmille d’insectes venimeux. On cultive dans le royaume du riz, du seigle, un peu de mil et du gros millet ».

Au total, la civilisation du Cambodge préangkorien, héritière du Fou-nan, notamment en matière d’hydraulique agricole et aussi de religion et d’art, influencée en matière d’architecture par le Champa, a pris au cours du VIIe siècle un dynamisme qui lui permettra, après une éclipse au siècle suivant, de dominer pendant une longue période le Sud et le centre de la péninsule.

La division du Cambodge : Tchen-la de terre et Tchen-la d’eau.

Au Cambodge, les histoires des T’ang nous apprennent, que peu après 706, le pays se trouve divisé en deux et retourna à l’état anarchique antérieur à son unification par les rois du Fou-nan et les premiers rois du Tchen-la : « La moitié septentrionale, remplie de montagne, et de vallée fut appelée Tchen-la de terre. La moitié méridionale, borné par la mer et couverte de lavs, fut appelée Tchen-la d’eau ».

La sécession eut apparemment pour origine l’anarchie qui suivit le règne de Jayavarman Ier mort sans héritier mâle. En 713, le pays était gouverné par une reine nommée Jayadevî : on d’elle une inscription trouvée à Angkor, dans laquelle elle se plaint du malheur des temps, et mentionne des donations à un sanctuaire de çiva Tripurântaka qui avait été fondé par la princesse çobhâjayâ, fille de Jayavarman Ier, mariée au brahmane çivaïte çakrasvâmin né dans l’Inde. Jayadevî est nommée dans une autre inscription d’où il ressort qu’elle était elle-même fille de Jayavarman Ier. Vers la même époque, un prince d’Aninditapura, nommé Pushkara ou Pushkarâksha devint roi dans çumbhupura, site représenté par groupe archéologique de Sambor sur le Mékog en amont de Kratié, où il fit graver une inscription en 716. On a supposé qu’il contint cette royauté « par mariage », mais c’est une hypothèse gratuite, et l’on peut tout aussi bien songer à un coup de force occasionné par la vacance du trône.

Il n’est pas impossible que ce soit Puskarâksha qui reçut à sa mort le nom posthume d’Indraloka, mentionné dans une inscription de Sambor comme celui de l’arrière-grand-père d’une reine régnant en 803. Quoi qu’il en soit, sa prise de possession de çambhupura semble avoir marqué le début de la sécession.

Du Tchen-la de terre, on ne connaît dans la ,première moitié du VIIIe siècle qu’une ambassade en 711, et une expédition au Vietnam en 722 pour aider un chef indigène dans sa révolte contre la Chine. Quant au Tchen-la d’eau, il semble avoir été lui-même divisé en plusieurs principautés. Celle d’Aninditapura, dans le Sud, avait eu pour chef, à une date indéterminée, un certain Bâlâditya qui donna peut-être son nom à une ville de Bâlâdityapura que les Chinois mentionnent, sous le nom de P’o-lo-t’i-po, comme la varie capitale du Tchen-la d’eau. Bâlâditya prétendait descendre du brahmane Kaundinya et de la Nâgî Somâ, et fut considéré plus tard par les rois d’Angkor comme l’ancêtre par lequel ils se rattachaient au couple mythique : il devait donc avoir quelque rapport avec les anciens rois du fou-nan. Vu la ressemblance des noms, on peut supposer qu’il eut parmi ses successeurs un certain Nripâditya qui a laissé dans l’Ouest de la Cochinchine une inscription sanskrite non datée, mais pouvant remonter au commencement du VIIIe siècle, c’est-à-dire au début de la sécession.

Le Cambodge : les deux Tchen-la (second moitié du VIIIe siècle).

Le Tchen-la de terre, appelé aussi par les Chinois Wen-tan et P’o-leou, et correspondant peut-être au territoire original du Tchen-la, envoya des ambassades en Chine, en 753 sous la conduite du fils du roi. En 754, ce même prince ou un autre fils du roi accompagna les armées chinoises opérant contre le Nan-tchao oriental où régnait le roi ko-lo-fong. D’après G.H. Luce, le Man chou mentionne à l’époque de la division du Tchen-la une expédition du Nan-tchao qui aurait atteint la mer, peut-être le Grand Lac. En 771, une ambassade est dirigée par le second rois, nommé P’o-mi, puis en 799 nouvelle ambassade. L’itinéraire de Kia Tan de Chine en Inde par voie de terre place sa capitale, à la fin du VIIIe siècle, en un point qui a d’abord été localisé dans la région de Pak Hin Bun, sur le moyen Mékong, mais qui se trouve sans doute beaucoup au sud, vers le centre du Tchen-la primitif. C’est peut-être à cette époque que remonte une inscription au nom d’un roi Yayasimhavarman trouvé à Ph’u Khiaos Kao dans le district de Ch’aiyaph province de Korat.

Du Tchen-la d’eau, on a quelques inscriptions de la région de çambhupura (Sambor) : deux d’entre elles, datées de 770 et 781, émanent d’un roi Jayavarman. Une inscription de 791 trouvée dans la province de Siem Reap, et mentionnant l’érection d’une image du Bodhisattva Lokeçvara, est le plus ancien témoignage épigraphique de l’existence au Cambodge du bouddhisme du grand Véhicule. On ne sait quelles datesattribuer à une série de princes, ancêtres des premiers rois d’Angkor, que les généalogies gratifient du titre de roi et qui ont pu effectivement gouverner les diverses principautés entre lesquelles le moyen et le bas Cambodge étaient divisés. Une reine « aînées », Jyeshthâyâ, petite-fille de Nirpendradevî et arrière petite-fille du roi Indraloka, fit une fondation à Sambor en 803, un an après l’avènement de Jayavarman II.

On aurait tort de croire qu’à cette période troublée de l’histoire du Cambodge corresponde une éclipse de l’art khmer. C’est au contraire au VIIIe siècle que les historiens de l’art sont amenés à placer des productions particulièrement intéressantes de l’art préangkorien, intermédiaires entre le style de Sambor Prei Kuk et celui du Kulèn.

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25 février 2010 4 25 /02 /février /2010 07:58

La neutralité cambodgienne

M. Phillipe PRESCHEZ a écrit un essai sur la démocratie au Cambodge, publié en 1961 dans la revue de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (n° 4). Dans la section II, l’auteur a traité un sujet sur la neutralité cambodgienne que j’aime bien le soulever pour un débat public. L’intérêt de ce débat est plutôt intellectuel qu’autres choses. Je sais que ce n’est pas un sujet d’actualité au Cambodge, mais il mérite d’en parler, parce que j’ai entendu parler qu’il pourrait être une des solutions pour résoudre des problèmes avec nos voisins, la Thaïlande et le Vietnam. Chacun est libre de croire à cette solution. Et je le respecte. Quant à moi, je ne vois pas quelle est son utilité dans le monde d’aujourd’hui.

Quand nous voulons être neutre, il faut d’abords que nous ayons les moyens pour vivre sans tenir compte l’aide des autres. Nous sommes neutre par rapport à quoi et à qui ? Pourquoi, nous voulions toujours revenir aux pratiques du passé, dont l’échec s’est avéré. Chez nous, Cambodgiens, j’ai remarqué qu’il y ait du passé qui ne passe jamais. Tant mieux, si ce passé permettait de nous construire l’avenir plus meilleur. Malheur, s’il servait à ruminer uniquement des souvenirs frustrés. La guerre froide est finie depuis la chute du mur de Berlin. Nous sommes aujourd’hui dans le siècle de mondialisation, l’ère de la puissance des moyens de communication de toute nature, la victoire de la démocratie libérale, etc. Est-ce que le mot « neutralité » ait encore un sens quelconque dans ce monde d’aujourd’hui ? Pendant la deuxième guerre en Irak, la France ne voulait pas participer dans ce conflit militaire ; ça ne veut pas dire qu’elle voulait être neutre par rapport aux Américains, aux Chinois, aux Russes, mais à ce moment-là, la France voulait seulement avoir sa propre politique extérieure.

(Extrait dans l’essai de M. Phillipe PRESCHEZ)

La neutralité est un élément de l’idéologie du Sangkum (Mouvement politique du Prince Sihanouk), mais elle se définit non comme une doctrine, mais comme un réalisme, une attitude dictée par les faits. La meilleure définition est celle qui en est donne par le prince Sihanouk lui-même : « Dans nos relations internationales, écrit-il, nous avons favorisé une neutralité qui aux Etats-Unis est souvent confondue avec le neutralisme, encore qu’elle en diffère fondamentalement. Nous sommes neutres de la manière dont le sont la Suisse et la Suède, et non neutralistes comme le sont l’Egypte et l’Indonésie ; que l’on examine nos votes aux Nations Unies ; ils ne sont pas souvent alignés avec le vote des nations neutralistes. C’est encore une discipline excessive pour nous ; seul l’indépendance nous permet de protéger constamment notre liberté, de traiter à chaque moment nos problèmes dans la seule perspective de l’intérêt national ». Et il précise le fondement de cette neutralité : « Notre neutralité nous a été imposé par la nécessité. C’est que le Cambodge est une nation de cinq millions d’habitants avec des minorités nationales importantes et disposant d’une armée de 25 000 personnes… En pratiquant une neutralité sincère on enlève tout prétexte à l’agression. Nous avons une chance de ne pas appeler l’orage sur nos têtes, et un orage peut être dangereux là où il n’y a pas de paratonnerre ». Sihanouk dénonce d’autre part le mécanisme de la « vassalisation de l’alliance ». Dans un article publié dans la Réalités cambodgiennes, il écrit : « Sur le plan militaire (en cas d’alliance avec l’Occident), nos effectifs anormalement gonflés nous mettraient à l’entière discrétion de l’aide américaine, dont l’ampleur pourrait dépendre de notre docilité. Quant à l’alignement sur l’Est, ce serait non seulement la fin de notre monarchie millénaire et de notre démocratie sociale nationale, mais encore la fin de notre religion dont les bonzes seraient transformés en pantins ».

La version cambodgienne du non-engagement est donc la conséquence d’une vue réaliste des choses. Elle ne comporte aucune prétention à une valeur universelle ou à un messianisme. Elle ne se pose pas en donneuse de leçon. Elle a été qualifiée parfois de « neutralité historique » dans la mesure où elle se trouve conforme à la position géographique du Cambodge, aux traditions historiques d’un pays qui a subi l’intrusion thaïe ou annamite, au tempérament national khmer, dont on connaît la traditionnelle fierté.

Si d’un point de vue doctrinal, la neutralité cambodgienne est surtout un réalisme pacifique et sans illusions, elle n’en est pas moins une idéologie bien vivante. Nous avons vu qu’à l’occasion du 4è Congrès national il a été décidé d’adopter un Acte de neutralité donnant forme de la loi permanente à la neutralité du Cambodge et venant s’ajouter à la Constitution. Il existe un Comité de défense de la neutralité. Et, d’une manière générale, la neutralité est l’objet de référence constantes dans la presse et dans tous les discours. C’est d’ailleurs un trait de l’idéologie du Sangkum qui obtient un ralliement unanime (même de la part des progressistes du Pracheachon). Les bénéfices de la neutralité sont évidents pour tous. Le Cambodge est le seul pays dans la péninsule indochinoise à connaître la sécurité intérieure. L’Est et l’Ouest rivalisent d’empressement auprès de lui pour l’aider à sortir de son état sous-développement.

Quelles sont les chances de succès de cette neutralité, condition de survie de l’expérience démocratique cambodgienne ?

L’armée est plus « occidentale » que le Sangkum, de tendance moins neutraliste. Le Prince déclare lui-même : « Nous sommes neutres, mais nous ne pouvons recevoir d’aide militaire que d’un seul bloc ; accepter une aide du bloc adverse nous ferait perdre le bénéfice de l’aide précédente ». Mais l’Armée n’est jamais intervenue dans la vie politique depuis l’indépendance. Grâce à la neutralité, elle est assez faible : elle compte actuellement 31 000 hommes et peut, en cas d’urgence, rappeler immédiatement 7 000 réservistes et anciens militaires de carrière. Et surtout elle est d’une part fidèle à la monarchie et au Prince, et d’autre part fort bien tenue en mains par le général Lon Nol, Chef d’Etat-Major général des F.A.R.K., officier calme et efficace, qui se tient sagement à l’écart des luttes factions. Notons que l’Armée a une part importante dans les réalisations du « socialisme khmer » : hydraulique agricole, défrichements, voies de communication, etc. Et elle assure l’instruction militaire élémentaire des membres de la J.S.R.K., le vaste mouvement de la jeunesse, présidé par le Prince. Autour du Prince Sihanouk, du Prince Monireth et du général Lon Nol, l’Armée fait preuve d’un parfait loyalisme.

En revanche, certains dangers menacent nettement la neutralité cambodgienne. Il convient ici de mesurer les possibilités de contamination communiste. Le Cambodge dispose d’atouts considérables : les paysans sont pour la plupart propriétaires de leurs terres ; la puissance des bonzes, l’attachement à la monarchie, le prestige de Sihanouk conditionnent les attitudes ; et le communisme khmer sans chefs et sans troupes, soupçonné d’être au service du Nord Vietnam, manque nécessairement de virulence. Le communisme ne touche donc qu’une minorité de l’intelligentsia. Mais la propagande clandestine vietminh fait des progrès auprès des Vietnamiens du Cambodge. La communauté vietnamienne demeure dans sa grande majorité favorable au gouvernement de Hanoï et non à celui de Saïgon et 60 % des 250 000 Vietnamiens semblent acquis à l’idéologie communiste. En outre, dans quelques rares régions, l’occupation vietminh de 1949 à 1954 a laissé des traces et des agents (région de Pailin et certains Sroks des provinces de Kampot, de Takeo et de Kompong-Cham). Toutefois ce danger semble pouvoir être conjuré. Et l’action des Vietnamiens ne fait souvent que compromettre le Pracheachon, qui subit alors les vexations et les tracasseries de la police.

Cependant un danger nouveau menace la neutralité du Cambodge : le déséquilibre croissant entre l’aide qu’il reçoit des pays communistes et celle des pays capitalistes. Les quatre usines que les Chinois ont bâties ou achèvent n’ont pas d’équivalent dans le Sud-Est asiatique. De nombreux techniciens chinois sont venus en faire des centres de formation technique, mais aussi de contagion politique.  L’augmentation de l’aide chinoise va permettre de construire deux nouvelles usines : l’une de sidérurgie, l’autre de petites constructions mécaniques. La Chine envoie de plus des techniciens agricoles. De leur côté, les Russes vont construire une école polytechnique. Pendant ce temps-là, l’aide américaine (qui a été généreuse, mais s’est éparpillés sans financer des investissements à long terme) et l’aide française diminuent considérablement.

D’autres périls plus grands encore menacent également la neutralité khmère. C’est la chute éventuelle du Laos et du Sud-Vietnam dans le communisme. Le Prince Sihanouk a déclaré récemment : « Entre le Laos et le Sud-Vietnam, le Cambodge est comme une paillote inflammable entre deux paillotes où le feu a pris ». Et si le Prince s’efforce de jouer un rôle de conciliateur dans l’affaire laotienne, il se sent désarmé du côté du Sud-Vietnam où la situation se détériore pour le seul étonnement des Américains.

C’est également « le risque de la balkanisation morale ». La neutralité, jointe à l’impossibilité de former sur la place les élites, entraîne l’hétérogénéité des éducations données à l’extérieur. Les associations d’étudiants cambodgiens en France sont prises en main par des jeunes gens imbus d’idées marxistes. D’autres étudiants reçoivent en Union soviétique ou en Chine une formation communiste. D’autres encore sont envoyés au Canada ou aux Etats-Unis où la formation est très différente. À plus ou moins longue échéance, le Cambodge « pourrait devenir un champ clos où se heurteraient des clans et des élites opposées ».

C’est enfin « le poids colossal de la Chine des sept cents millions d’habitants que l’Asie du Sud-Est porte sur la tête ». Pour préserver son intégrité territoriale, le Cambodge n’hésiterait pas à accepter la communisation et le protectorat chinois. À moins que l’U.R.S.S. ne mène le jeu et qu’il ne faille passer par Hanoï…avant peut-être d’en venir à Pékin. Mais ceci est une autre.

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5 novembre 2009 4 05 /11 /novembre /2009 09:51

La minorité cambodgienne de Cochinchine (suite et fin).

Il serait souhaitable, à un autre égard, que fussent élargies ou renforcées, certaines mesures prises à la veille de la guerre, par l’autorité française, notamment celles qui prescrivaient que, dans les villages mixtes, l’élément khmer fût représenté par un nombre de notables proportionnel à son importance, ou encore, celle qui instituait un officier auxiliaire d’état-civil, dans les villages en majorité Cambodgiens. Mais ces mesures ne pourraient devenir pleinement efficaces, que si les notables ainsi désignés, prenaient rang, sous certaines conditions et selon l’importance numérique de la minorité, parmi les plus considérables des membres du conseil communal.

Il est important aussi, que l’élément cambodgien ait la place qui lui revient, dans tous les corps élus, à quelque échelon qu’ils soient institués. On avait proposé, il y a une vingtaine d’années, que des cantons autonomes, relevant directement de l’autorité supérieure, fussent organisés, là où la minorité se présente en formations suffisamment compactes pour justifier cette mesure. Mais on peut concevoir aussi que la désignation de chefs de cantons khmers soit déclarée obligatoire, dans les régions où le groupe ethnique est prépondérant, avec des sous-chefs de cantons, là où il ne détient pas la majorité. De toute manière, il est nécessaire que les Cambodgiens relèvent de fonctionnaires ou de conseillers parlant leur langue et que, dans les concours administratifs, un certain nombre de places soient réservées aux candidats aux fonctions publiques, avec à titre provisoire, des conditions spéciales. Il paraît indispensable que la langue cambodgienne soit officiellement administrative. Enfin, on ne peut que souhaiter le développement du bureau des affaires cambodgiennes, qui avait été créé à la veille de la guerre, auprès du cabinet du Gouverneur.

Les Cambodgiens sont appelés à prendre une certaine importance numérique en Cochinchine. Loin d’être en recul, leur nombre s’accroît à chaque recensement. En 1888, ils étaient 150 000 sur 1 600 000 habitants. En 1925, ils étaient devenus 300 000. A la veille de la guerre, on en comptait environ 350 000, sur une population globale de moins de cinq millions d’habitants. Leurs relations avec les Chinois sont excellentes, et l’on compte de nombreux métis sino-cambodgiens qui, fait remarquable, adoptent volontiers les coutumes de la mère, ce qui est rarement le cas pour les métis sino-annamites. Les Khmers de Cochinchine entretiennent généralement avec les Annamites des relations dénuées de sympathie. Ceux-ci les appellent avec condescendance, des Thô, c’est-à-dire les « hommes de la terre », mais ils rendent mépris pour mépris, en traitant les autres de Yun, du sanscrit yavana, c’est-à-dire de « Barbares du Nord ». Il est certain que ces inimités, fondées sur des incompatibilités de mœurs, de langue, de religion et aussi, sur toute l’amertume d’anciennes dépossessions, ont pour effet, d’entretenir un état de friction latente, préjudiciable à la paix sociale, et qui réclame le contrôle d’un arbitre.

À cet égard, la Cochinchine apparaît par excellence, comme une terre fédérale, où la France pitoyable aux faibles et généreuse envers des sujets loyaux, doit faire prévaloir des solutions de justice et rétablir l’équilibre que tend à détruire dans le monde, la triviale sélection des plus forts. Il lui appartient d’attribuer à la minorité cambodgienne du Bas-Mékong, un statut politique qui n’a jamais encore été clairement défini, à sauvegarder ses droits par des mesures administratives, à maintenir son originalité culturelle, à protéger surtout sa fortune immobilière, patrimoine qui s’amenuise un peu tous les jours, par l’effet incroyable abus. J’ajoute que notre pays ne saurait se désintéresser non plus, de la Cochinchine s’est traditionnellement appuyée sur le Bouddhisme du Sud, tandis que l’Annam adoptait le Bouddhisme du Nord. Il reste à la France, vieille nation chrétienne et libérale, devenue par l’Afrique, une métropole musulmane, à devenir pour l’Asie du Sud-Est, une métropole bouddhique. Ce n’est plus un secret, que le Japon avait tenté d’organiser à son profit, les sectes du Bouddhisme en Indochine, et que le Siam poursuivait depuis longtemps au Cambodge, les mêmes fins, pour des raisons d’expansion territoriale. Les bonzes cambodgiens de Cochinchine se trouvent placés dans le rayonnement de l’Institut bouddhique de Phnom-Penh, ayant aussi des attaches au Laos ; institution de caractère fédéral, dont le développement est souhaitable et l’importance ne saurait être sous-estimée.

Je voudrais en terminant, attirer votre attention, sur quelques égards dus à ces populations, quand l’on se trouve appelé à circuler dans leurs villages. Il est bon, quand on pénètre dans une pagode, où l’on est reçu toujours, dès le seuil, par quelques bonzillons ou quelques moines de seconde importance, de demander à saluer le chef du monastère, qui est souvent un respectable vieillard. Si c’est l’heure du repas ou s’il repose, il est courtois de ne pas insister. Les Cambodgiens sont toujours sensibles aux égards que l’on a pour leur clergé, ou pour les achars si l’on a quelque question à traiter qui intéresse la pagode. L’on vous offrira du thé ou de l’eau de coco. Acceptez-les, même si la tasse est crasseuse ou si vous n’avez pas soif, car ce don émane toujours d’un cœur ouvert. Asseyez-vous sur la natte, où le supérieur vous convie. On fera, autour de vous, un cercle respectueux. Enquerrez-vous des besoins locaux, de l’état de récoltes, de la santé du bétail, de la fréquentation des enfants à l’école de la pagode. Ne manquez pas de faire une visite au bonze-instituteur. Distribuez des bonbons ou des images. Ayez un propos aimable pour les vieillards. Soyez jovial à l’occasion. J’ai pu obtenir des renseignements qui m’ont conduit à d’importantes trouvailles archéologiques, simplement en distribuant des boîtes allumettes, des bâtonnets d’encens, ou encore, en versant quelques gouttes de collyre, dans des yeux d’enfants atteints de conjonctivite. Ne soyez jamais impatients, ni trop pressés, et n’offrez jamais d’argent à des bonzes. La règle leur interdit de l’accepter. Si vous êtes cependant, dans la nécessité de le faire, usez de l’intermédiaire d’un laïc, achar ou autre, en spécifiant toujours, qu’il s’agit d’une contribution de votre part ou de l’administration, à l’entretien du sanctuaire ou au développement de l’école.

Si vous devez séjourner dans la pagode ou y établir un cantonnement, prescrivez à vos hommes de ne pas être trop bruyants, surtout au moment des offices. Même si le terrain est très vaste, faites établir hors de l’enceinte, les constructions provisoires qui devront répondre aux besoins de la vie matérielle. Veillez surtout à ce qu’aucun animal bœuf, porc ou même poulet, ne soit sacrifié dans cet enclos, où la vie animale est sacrée, à l’égal de l’existence humaine. Ces quelques précautions suffisent ordinairement à s’assurer la sympathie de populations qui ne demandent qu’à être fidèles. Beaucoup de ces remarques sont valables, dans les pays annamites, et il faut bien peu de manifestations de bienveillance, pour réussir la conquête des cœurs.

Par leur remarquable tenue morale, les Cambodgiens de Cochinchine ont gagné notre estime et mérité la sollicitude que la communauté française se doit de témoigner à ceux qui, ayant souffert dans leur personnalité nationale, ont compris que l’avenir de leur pays ne pouvait se concevoir que dans un ensemble assez vaste, pour apaiser des frictions et faire éclore de communes aspirations. Si j’ai accepté ce soir, de vous entretenir de cette minorité, si digne d’être préservée d’une assimilation inéluctable, c’est sans doute qu’il m’a plus d’être ici, l’avocat des faibles. C’est aussi parce que la Cochinchine est un pays chargé d’histoire, où il est juste que survivent les descendants authentiques des bâtisseurs d’Angkor. Et puis, qu’il me soit permis de plaider aussi, la cause de ceux qui pensent que l’universalisme ne suffit pas à tout. Ce qui faisait pour le voyageur et l’artiste, la séduction et la variété du monde, est en train de s’abîmer dans une effroyable uniformité d’habitudes. Il semble que sous la terrible contrainte des lois industrielles, il n’y ait plus place pour la charmante originalité des coutumes, où les peuples manifestaient leur génie. Mais la France est une vieille nation d’équilibre et de raison. Sa pensée mûrie par des siècles de réflexion claire, dispose d’un clavier riche de nuances et de demi-tons, où s’exprime toute la complexité de la nature humaine. Aux conceptions simplistes et confuses des tard-venus dans la voie de la civilisation, elle ne cessera d’opposer avec sang-froid la notion de la diversité du réel. Il lui appartient, dans un monde nouveau, de promouvoir un esprit nouveau, fondé non plus sur des simplifications égalitaires, mais sur des considérations de justice proportionnelle et sur le droit de toutes les nations à l’existence, double espoir dans lequel il nous plaît de reconnaître et de saluer une revendication d’humanité.

Louis MALLERET.

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28 octobre 2009 3 28 /10 /octobre /2009 08:48
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26 octobre 2009 1 26 /10 /octobre /2009 20:22
Auteur : Louis MALLERET
Cet essai est publié à Saigon dans le bulletin de la société des Etudes Indochinoises au 1er semestre 1946.

La minorité cambodgienne de Cochinchine (suite)

En 1856, nouvelle révolte, suivie de deux autres en 1859 et 1861. Il fallut notre arrivée pour que les Khmers de Cochinchine durement traité par les mandarins et les colons annamites, puissent retrouver le sentiment de la liberté et une protection qui empêcha leur éviction totale du territoire du bas-Mékong. Elle leur permit en outre de conserver une part encore importante de leur patrimoine, déjà fortement entamé par des procédés qui ne s’embarrassaient guère de la précaution du droit.

Les nouveaux venus s’installaient, en effet, sur les territoires du Sud selon leur convenance, et fondaient leurs villages, aux endroits qui répondaient le mieux à leur commodité ou à leurs habitudes. « Les lots de terre étant choisis, écrit un chroniqueur annamite, il suffisait d’en exprimer le désir au mandarin, pour en devenir propriétaire. On ne mesurait pas le terrain, quand on le concédait. On ne prenait pas davantage note de ce qui était de bonne ou de mauvaise nature ». Ce texte définit une méthode d’appropriation, reposant sur simples occupations de fait, dont le principe s’est survécu dans toutes les infiltrations vers le Transbassac.

Mais, le choix des arrivants allait surtout aux régions basses, situées le long des voies d’eau naturelles, et il suffit de jeter les yeux sur une carte au 25 000e, pour constater de nos jours, dans les provinces de Trâ-vinh ou de Sôc-trang, les manifestations de cette préférence. Toutes les agglomérations annamites épousent les sinuosités des racb, c’est-à-dire des cours d’eau, tandis que les villages cambodgiens se répartissent sur les croupes de sable, que l’on appelle des giong, et qui sont probablement, d’anciens cordons littoraux.

Alors que le village annamite concentre ses maisons, parmi des palmiers d’eau, des cocotiers et maigres aréquiers, le Cambodgien indépendant et fier, préfère l’habitat dispersé, dans un paysage de jardins. Le premier construit sa demeure de plain-pied, sauf dans les régions qu’envahissent les débordements des fleuves. Le second accorde sa préférence à l’habitation sur pilotis. Ses maisons s’isolent, parmi des arbres au feuillage touffu, sur des terres plus salubres, où le sol est plus sec, la fièvre bénigne et l’eau plus saine.

Un regard accoutumé aux traits du paysage Cochinchine, reconnaît de loin, ces agglomérations villageoises, à des lignes continues de verdure, limitant l’horizon, que dominent de place en place, des bouquets d’arbres. C’est parfois, mais rarement, le borassus ou palmier à sucre, l’arbre typique des savanes cambodgiennes, parfois le pring, survivant des forêts clairières, surtout le koki, que les Annamites appellent Dau, dont les troncs énormes et droits, se prêtent au creusement des longues pirogues de course, que possède tout village cambodgien.

Les bosquets de koki signalent de loin, les pagodes et survivent comme des témoins, lorsque celles-ci ont cédé la place à quelque temple annamite. Dès l’entrée, l’on est saisi par l’ampleur du terrain, au milieu duquel s’élève le sanctuaire, parmi des avenues et des bassins, avec çà et là, des salles de réunion ou des cellules sur pilotis, pour la méditation des bonzes. Ce sentiment de l’espace, des perspectives et de la verdure, associés à l’habitation humaine, marque ces enceintes sucrées, d’un trait qui distingue des temples annamites et chinois, où les constructions sont presque toujours entassées. L’on se plait alors, à reconnaître, dans cette architecture aérée, le même sens de la distribution des volumes et des lignes dans l’espace, qui dès le premier contact avec Angkor Vat, éveille la notion de l’harmonie et de la grandeur que possédaient au plus haut point, les artistes anciens.

Ces pagodes de Cochinchine ne se distinguent guère de celles du Cambodge. Elles se ramènent invariablement, à une vaste construction élevée sur un terre-plein, entourée d’une galerie et coiffée de plusieurs toitures emboîtantes, dont les ressauts présentent parfois une grande complexité, et admettent, d’un temple à l’autre, de nombreuses variantes. Sous la corne élégante qui prolonge les angles du faite, des pigeons en bois sculpté, doré ou peint, se rapportent rarement à la légende du Bouddha, mais plutôt à des sujets tirés de l’iconographie brahmanique. Parfois des motifs d’inspiration chinoise ornent les toitures et ce trait, s’il témoigne des bonnes relations des Khmers avec les Célestes, indique aussi, que nous ne sommes plus au cœur du Cambodge, mais dans une aire de contacts, où des contaminations artistiques sont plus volontiers tolérées.

Malheureusement, l’usage du ciment armé a introduit souvent le mauvais goût, dans ces constructions, dont certaines, étaient charmantes. De belles boiseries ont cédé la place à d’affreux moulages, et je ne saurais trop insister ici, sur la nécessité d’une rééducation du sens esthétique, que les Khmers eurent au plus haut degré et qui s’est avili. Pour une nation soucieuse, comme la nôtre, de réveiller et de cultiver les plus belles qualités des peuples de l’Indochine, il n’est pas, je crois, de plus noble tâche. Un effort considérable fut accompli, à Phnom-Penh, par les Corporations Cambodgiennes de George GROSLIER. Une véritable renaissance se manifesta dans l’industrie de tissage et l’orfèvrerie. Or il y eut autrefois, en Cochinchine, dans la région de Triton, des ateliers familiaux où l’on fabriquait des teintures de pagodes, d’une grande richesse décorative. Cet art s’est perdu, comme se perd de nos jours, celui des anciens architectes, des sculpteurs, et des enlumineurs. S’il m’est permis d’émettre encore un vœu, c’est que les Cambodgiens de Cochinchine aient bientôt leur école d’art, comme en ont les Annamites, à Bîen-hoà, Thu-dâu et Gia-dinh.

L’intérieur de ces pagodes n’a ordinairement rien de remarquable et l’on est frappé, lorsqu’on y pénètre, par la sobriété de l’ameublement et du décor. Il n’y a rien qui rappelle ici, l’encombrement et l’opulence touffue des sanctuaires annamites et chinois. Quelques nattes sont étendues sur le sol, où prendront place bonzes, dans leurs prières. Sur un côté, est posés la chaise du supérieur. Sur l’autel principal, se dresse une grande statue du Bouddha, entouré souvent d’une grande quantité d’autres idoles, de dimensions plus modestes, mais qui ne sont guère que la répétition de l’image principale. Quelques peintures murales relatent des scènes de vie du Maître, ou de ces naïves histoires que l’on appelle des jakata, ou des épisodes du Ramayana, ou encore de la légende de Prah Enn, c’est-à-dire Indra, toujours reconnaissable à son visage vert.

Le Bouddhisme de ces Cambodgiens, qu’ils soient de Cochinchine ou du Cambodge, est celui du Petit Véhicule, c’est-à-dire la doctrine tirée du canon Pâli et, qui domine dans les contrées du Sud, y compris Ceylan, le Siam et la Birmanie. L’enseignement est demeuré très proche de la tradition primitive, le panthéon extrêmement réduit et l’iconographie très pauvre. Mais je dois ajouter que cette forme du bouddhisme est thaï et n’a pénétré au Cambodge, qu’à une date relativement récente. Dans la période d’Angkor, ce qui dominait, c’était l’autre Bouddhisme, celui du Grand Véhicule, dont les dogmes s’étaient enrichis d’apports complexes, qui admet un panthéon plus vaste, et devait donner lieu à des manifestations artistiques plus considérables.

On aurait tort, cependant, de croire que la doctrine bouddhiste telle que l’enseigne les bonzes à robe jaune, peut suffire à satisfaire toute la dévotion des pieux Cambodgiens. Avant de quitter la pagode, dirigeons-nous vers l’angle Nord-Est de l’enclos. Nous y trouvons presque toujours, un modeste abri, fait de quelques planches ou d’un lattis de bambou. C’est la résidence du neak ta, esprit tantôt favorable, tantôt malfaisant, ordinairement représenté par quelques pierres informes, devant lesquelles le vent disperse le cendre refroidie des bâtonnets d’encens. C’est une concession des bonzes au culte des génies qui occupe une si grande place, dans l’esprit des paysans, qu’ils soient Cambodgiens ou Annamites. Les Khmers de Cochinchine, comme leurs parents du Cambodge, redoutent la perfidie des puissances invisibles, les krut, les Arak, les Mémoch, et font volontairement appel à des sorciers, pour apaiser leur courroux. Certains de ces esprits domestiques ou champêtres ne sont que d’anciennes divinités brahmaniques, aujourd’hui déchues. C’est ainsi que le Neang Khmau, la Dame noire, la Bà Dèn des Annamites, qui a donné son nom à la montagne de Tay-ninh, n’est autre que Durga, la terrible Kali, dont le nom se trouve dans celui de Calcutta, divinité bienfaisante ou cruelle, qui passe pour responsable de tous les maux qui atteignent la frêle existence des enfants.

Toute la campagne est remplie de la présente muette de ces esprits, dont les rustiques autels s’élèvent au détour du chemin, sur des talus de rizières ou au pied de grands arbres. Il faut quotidiennement prendre garde de ne pas exciter leur colère, et j’ai eu souvent, pour mon compte, à tenir avec eux une conduite circonspecte, quelles que fussent du reste, les régions de la Cochinchine, car sous le nom de ông ta, ils tiennent aussi, une place considérable, dans la dévotion du paysan annamite. Et ceci me remet en mémoire deux anecdotes particulièrement significatives du rôle de ces génies.

J’avais entrepris d’enlever, pour le Musée de la Cochinchine, un grand linga en grès, qui pesait bien une demi-tonne, et jouissait de la réputation d’être un neak Ta malfaisant. Cette idole gisait abandonnée dans une dépression humide, où elle était menacée de déprédations. Mais il fallait la transporter jusqu’à un canal, pour l’acheminer vers Saigon par voie d’eau. Il était difficile d’utiliser les charrettes trop légères. Je fis donc appel à un traîneau de rizière, auquel on attela des bœufs. Mais après quelques centaines de mètres, ceux-ci refusèrent obstinément d’avancer. On les remplaça par des buffles qui manifestèrent la même mauvaise volonté. Comme le neak ta passait pour être particulièrement redoutable, je compris que j’étais perdu de réputation, si je n’avais pas aussitôt raison de cette pierre récalcitrante. Je fis donc faire une claie, à laquelle s’attelèrent vingt hommes, et l’on porta l’idole au village. Mais là, personne ne voulut accueillir, auprès de sa demeure, cet hôte indésirable. Je le fis donc déposer devant la maison commune, où j’habitais alors, en prescrivant de le placer le long du sentier qui conduisait à l’entrée. On le mit de travers. Je le fis redresser. On le remit de travers. Comme je demanderai la raison de ces manœuvres insolites, on m’expliqua que, dans le premier cas, je serais atteint directement, par les manifestations de mauvaise humeur du génie, tandis que, dans le second, j’en serais préservé, que l’on avait contrevenu à mes ordres, dans l’intérêt de ma personne, mais que si, décidément, je ne tenais pas être protégé, l’on ne pouvait après tout, que m’abandonner à un funeste sort.

À quelque temps de là, je revins visiter un tertre, où j’avais entrepris des fouilles. Au moment de celui-ci et au pied dont l’animosité était bien connue dans toute la région. J’avais prescrit que l’on évitât de déplacer cette pierre, précaution indispensable pour conserver des coolies. Ce jour-là, je trouvai sur le tertre, trois hommes occupés à présenter des offrandes au neak ta. Ils venaient de déposer, devant l’autel rustique, un canard rôti, un flacon d’alcool, quelques fruits, des bâtonnets d’encens et un bol de riz. Comme ils se relevaient et se disposaient à partir, ils m’expliquent que leur père étant venu un jour assister à mes travaux, avait été subitement pris d’un malaise, dont il ne se remettait pas, qui était certainement imputable à la malignité de la pierre-génie. À mon retour, j’allais m’en retourner quand un Cambodgien nommé Thach Vong qui m’accompagnait, me demanda la permission d’adresser une requête à l’idole. Je le vis alors, s’abîmer dans un long conciliabule avec la pierre. Il lui parlait à voix basse, accompagnant ses paroles de gestes persuasifs. Il expliquait au neak ta que lui, Thach Vong, était pauvre et qu’il avait faim, tandis que l’esprit puissant entouré de la crainte et de la vénération publique, était abondamment pourvu. Il lui demandait donc, bien humblement, de le prendre en pitié et de l’admettre à partager le festin que des hommes généreux venaient d’offrir. J’imagine que l’esprit se laissa aisément convaincre, car Thach Vong ayant bu l’alcool, rompit les pattes et le cou du canard, les laissa en partager au génie et fort dévotement, mit tout le reste sous bras.

Ces histoires de neak ta, nous montrent combien ces bons Cambodgiens sont des âmes simples, à l’égal du reste, du plus grand nombre des paysans annamites, qui ne demandent qu’à cultiver leur terre, dans la paix. Les uns et les autres sont également dignes de sympathie et de sollicitude, et lorsqu’on a partagé leur existence modeste, bu du thé sur la même natte, prêté une oreille complaisante à leurs propos naïfs, on s’aperçoit alors, qu’ils sont très proches de nous, et que leur accueil ressemble étonnement, à celui de nos campagnes de France, où l’on n’oppose pas délibérément, une méfiance hostile à l’étranger.

Que de fois, il m’est arrivé, parcourant à pied, à cheval, en charrette ou en sampan, les provinces de la Cochinchine, d’accepter la franche hospitalité des pagodes cambodgiennes. L’on s’empressait de m’apporter quelques noix de coco, pour étancher ma soif, tandis que j’offrais en retour des bâtonnets d’encens ou un paquet de thé. Dans la maison de repos des hôtes, on étendait une natte et, dans les heures chaudes de la journée, au cœur de la saison sèche, quand l’air est pur et léger, je ne connais pas d’impression plus sereine que celle de s’étendre sur les claies de bambou de ces maisons sur pilotis, tandis que les bonzes en robe safran passent silencieusement dans les cours et qu’un vent espiègle murmure, dans les hautes touffes des cocotiers.

Mais souvent, j’arrivais à une heure où l’école de la pagode bruissait du murmure des jeunes enfants et cela me conduit tout naturellement, à évoquait ici, le problème de l’enseignement qui se pose sous un aspect grave, pour la minorité cambodgienne de Cochinchine. Celle-ci forme un ensemble homogène, par sa langue, sa religion, ses coutumes, ses traditions. Attachée à sauvegarder ses usages, elle répugne à envoyer ses enfants à l’école franco-annamite et ne dispose que très rarement, d’écoles franco-khmères.

On a essayé jusqu’ici, de résoudre la difficulté, en favorisant le développement de l’enseignement traditionnel, dans les écoles de pagodes. Celles-ci sont trois types. Les unes sont indépendantes et, de ce fait, échappant entièrement à notre contrôle. On en comptait 95 en 1944, réunissant 1068 élèves. D’autres sont subventionnées. Il y en avait 20, au début de 1945, avec 571 élèves. Enfin, depuis quinze ans, l’on s’est attaché à multiplier le nombre des écoles de pagode dites « rénovée », où l’enseignement est donné par des bonzes, qui ont suivi un stage de perfectionnement, à Phnom-Penh, à Trâ-vinh ou à Sôc-trang et qu’on s’efforce de conseiller, autant que le permet le droit de regard que l’on peut s’attribuer, sur des établissements de caractère presque exclusivement religieux. Le nombre des écoles de ce type a passé de 37 en 1930n à 90 en 1935, et à 209 en 1944. Celui des élèves s’est élevé progressivement, de 1524 en 1930, à 7274 en 1944, parmi lesquels on comptait 1093 filles, jusqu’ici traditionnellement écartées du bénéfice de l’instruction. Dans le même temps, le nombre des écoles officielles franco-khmères n’a pas dépassé le nombre de 19 avec 30 maîtres seulement.

Il y a là un problème qui doit retenir l’attention. Quel que soit le soin que l’on ait apporté à la formation des bonzes-instituteurs, la création des écoles de pagodes, fussent-elles rénovées, n’est qu’un moyen de fortune, qui ne saurait remplacer un enseignement de type normal à deux cycles, l’un élémentaire, où le véhicule de l’enseignement peut demeurer le Cambodgien, l’autre complémentaire avec initiation à la connaissance du français. Mais l’on heurte à la question difficile du recrutement des instituteurs et tous les efforts entrepris, pour la pénétration scolaire, dans les pays cambodgiens, sont paralysés par cette insuffisance numérique et qualitative du personnel. J’avancerai donc encore ici, un vœu en faveur des Cambodgiens de Cochinchine. C’est que le nombre des écoles élémentaires et complémentaires franco-khmères soit rapidement accru, de façon à former des sujets pourvus du certificat d’études, aptes, les uns à devenir instituteurs auxiliaires, les autres à fournir un premier contingent d’élèves-maîtres, dans des Ecoles Normales, auxquelles, il faudra bien revenir, si l’on entend rompre décidément avec la politique d’enseignement primaire au rabais, qui a été suivie en Indochine, depuis la crise économique de 1929-1933.

Ce problème s ne touche pas seulement, à l’obligation d’accorder à l’enfant cambodgien de Cochinchine, le niveau d’instruction primaire auquel, il a droit. Il englobe, aussi, la grave question du recrutement d’une élite. Dans la minorité khmère du Bas-Mékong, comme du reste dans l’ensemble du cambodge, le fait qui saisit l’observateur, c’est que cette société privée, en dehors du clergé, d’une classe véritablement dirigeante. Dans le vieux royaume khmer, ce sont souvent des Annamites qui fournissent le contingent des fonctionnaires de l’administration ou qui occupent les professions libérales, et cette situation, dont les Cambodgiens sont les premiers à s’alarmer, sans beaucoup réagir, semble avoir des origines très lointaines. Il est remarquable, en effet, que la décadence de ce pays ait coïncidé avec l’époque où se produisaient dans l’Inde, les invasions musulmanes. À partir du moment où le Cambodge fut privé de l’encadrement que lui apportait, semble-t-il, des brahmanes, sa déchéance commença. Il y a quelques raisons de penser que des causes ayant tari le recrutement d’une élite, produisirent les mêmes effets, dans l’ancien Fou-Nan, et l’on a vu les Siamois s’opposer plus récemment, au relèvement de la nation cambodgienne, en massacrant lors de leurs incursions, les classes dirigeantes ou en les emmenant en captivité.

Quoi qu’il en soit, l’œuvre urgente, l’œuvre nécessaire, c’est d’accorder à la minorité cambodgienne de Cochinchine, les moyens de sauvegarder sa personnalité, en créant pour elle, des écoles, et surtout, en rompant avec l’habitude de la portion congrue, qui consistait à donner à des instituteurs cambodgiens communaux, des salaires dérisoires, comme c’était le cas en Cochinchine, en 1943, où des maîtres recrutés à grand peine, recevaient pour prix de leur activité professionnelle, toutes indemnités comprises, vingt et une piastres par mois.

Le problème de la pénétration scolaire, dans cette minorité, n’est pas le seul qui soit digne de requérir notre bonne volonté, mais il est d’un importance capitale, car tous les autres dérivent de l’ignorance où le paysan khmer se trouve de ses droits. Très attaché à sa terre, il n’est pas armé, pour défendre son patrimoine, et devient souvent la victime d’incroyables spoliations. Ses bonzes qui sont ses tuteurs naturels et qui l’ont maintenu dans la voie d’une magnifique élévations morale, demeurent étroitement attachés, à la tradition et sans lumières sur les obligations et les rigueurs de l’existence moderne. Les achars, vieillards respectés que l’on consulte dans les occasions difficiles, ne sont, eux non plus, que de fort braves gens, attachés à la coutume non écrite et dénués de ressources, devant les impitoyables nécessités d’une organisation sociale, où la bonne foi des faibles est exposée à de rudes assauts.

Le contact de deux populations, l’une active et entreprenante, l’autre apathique et traditionaliste, produit quotidiennement des abus, que notre pays ne saurait couvrir de son indifférence, et qui relèvent, semble-t-il au premier chef, de la mission d’arbitrage fédéral qui lui est dévolue en Indochine. Je connais une agglomération de la province de Long-xuyén, où la fusion du village cambodgien avec un village annamite, mesure décidée sans précaution, par l’autorité administrative, a eu pour résultat de déposséder entièrement le premier de ses terres communales, au profit du second qui était pauvre, en sorte que l’école de celui-ci est devenue florissante, tandis que l’école de celui-là végète désormais, faute de ressources. Je citerai aussi, un hameau cambodgien de la province de Rach-gia, établi loin des routes et canaux, dont les habitants connurent un jour, par moi, avec stupeur, qu’ils n’étaient plus propriétaires de leurs terrains d’habitation, ceux-ci ayant été incorporés au Domaine public, parce que n’ayant aucun titre régulier ou n’ayant pas été informés du sens des opérations de bornage, ils ne s’étaient pas présentés devant les commissions cadastrales.

Faut-il s’étonner si, devant ce qu’ils considèrent comme mesures arbitraires, les Cambodgiens abandonnent, parfois en masse, certains villages, pour fuir l’injustice et spoliation. Des créanciers annamites ou chinois font signer à des paysans khmers illettrés, des actes léonins qui aboutissent, à brève échéance, à la dépossession totale du débiteur. Le mal était devenu si manifeste, et l’usure si coutumière de semblables expropriations, que l’administration française dut s’en alarmer. En 1937, le visa de l’enregistrement fut déclaré obligatoire pour les billets de dettes, avec signature conjointe du débiteur et du créancier. A Trâ-vinh, il apparut même nécessaire, d’exiger leur présence, lors de l’inscription des hypothèques sur les registres fonciers. 
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25 octobre 2009 7 25 /10 /octobre /2009 12:51

Lettre de Samdech Sihanouk, datée le 23 Juin 1993, adressée à Son fils, le prince Norodom Ranariddh pour demander au dernier d’accepter d’être le Vice-Président n°1 du Gouvernement National du Cambodge (Gouvernement bicéphale), formé et présidé par lui.

                                                                S.A.R. le Prince NORODOM RANARIDDH 

    Président du FUNCINPEC et Membres du CNS.

Mon bien-aimé Fils,

Papa sollicite Votre filiale indulgence et Votre noble compréhension à son égard. Même dans mon plus récent FAX, je vous ai dit je n’accepterai pas de former et présider un Gouvernement bipartite FUNCINPEC-PPC, car cela ne donnerait que des avantages à ce dernier (PPC) sans améliorer pour autant la situation de notre pauvre Cambodge et son infortuné peuple. Or, d’après les derniers renseignements venus de sources sûres, les extrémistes du PPC (SOC) ont déjà « mis en place » un peu partout dans les villes et zones SOC des « équipes militaros-policières » spécialisées dans « l’art » de s’attaquer aux Funcinpécistes connus et un petit peuple funcinpéciste en les plongeant dans un bain de sang, sachant que l’ANKD est trop petite pour défendre les futures et innocentes victimes.

Lors de l’audiance de 11h30, aujourd’hui, S.E. HUN SEN m’a dit que des « confrontations violentes » avaient déjà commencé dans Kampot (hier) et aujourd’hui dans d’autres provinces, y compris Kampong Cham. À cet égard, Papa vous avoue qu’il a peur de 2 choses primo- la terrible nouvelle souffrance du FUNCINPEC et notre petit peuple, et secundo – une détérioration tragique et irréversible de la situation « out of control » de notre Cambodge, tandis que l’innocent et victorieux (en termes électoraux) FUNCINPEC ne pourra pas se permettre d’appeler les Khmers Rouges à son secours (en effet, si le FUNCINPEC accepte d’être aidé par les Khmers Rouges dans sa lutte (défensive) anti-SOC, les puissances étrangères auraient beau jeu de soutenir le SOC contre FUNCINPEC.

Papa se voit obligé, après reçu de S.E. CHEA SIM et S.E. HUN SEN une nouvelle requête verbale (ce matin à 11h30), de former et présider le GNC (Gouvernement National du Cambodge) –appellation donnée par Papa à notre nouveau gouvernement –(obligé) de dire « OUI ».

Vous avez bien voulu accorder à Papa Votre soutien inconditionnel. Papa s’est donc permis d’en user pour dire « Oui ». Ainsi, nous pouvons éviter un bain de sang trop probable tout en donnant, pour la première fois depuis vingt ans un nouvel ESPOIR de renaissance à notre Peuple et notre Nation et tout en sauvegarder les acquis si mérités du FUNCINPEC (je pense surtout à notre victoire historique voulue par notre Peuple et qui vous placera, au sein du GNC et de l’Assemblée Constituante-Nationale, dans une position dominante, en dépit de « l’égalité » de traitement que je suis obligé (pour la PAIX) d’accorder aux 2 grands Partis (1 Vice-Président FUNCINPEC, 1 Vice-Président PPC, et 2 Co-Ministres pour chaque Ministère, l’idée des Co-Ministres est de Papa).

Papa va vous envoyer dans quelques minutes le texte intégral en Français de son « Rapport au peuple ». Si Vous le voulez bien. Vous pouvez le faire diffuser à 17h30.

Vous pourriez également le faire traduire en Khmer. La traduction officielle en khmer par S.E. Truong Mealy parviendra plus tard.

Papa est très fier et extrêmement heureux de Vous avoir comme son Bras-Droit (Vous êtes mon Vice-Président      N°1).

Papa espère acquérir Votre approbation et Votre total soutien et Vous embrasse avec sa plus profonde affection et sa très haute considération.

 

                                                                NORODOM SIHANOUK

 Phnom-Penh, le 3 Juin 1993.

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25 octobre 2009 7 25 /10 /octobre /2009 06:21

Rencontre du prince Norodom Sihanouk et M. Hun Sen, des 2 et 3 décembre 1987, à Fère-en-Tardenois (France).

Transcription non officieuse.

Ce document a été écrit à la main par le prince Sihanouk sous forme de « Compte-Rendu Succinct » de ses conversations  « Sihanouk-Hun Sen ». Cette audience a duré 5 heures (de 10 heures à 15 heures). Deux heures après la conversation, le prince a communiqué ce Compte-Rendu à la presse.

Les participants :

Le prince Sihanouk a été assisté par la reine Monique Sihanouk et le prince Norodom Ranariddh.

L’Hôellerie du Château de Fère-en-Tardenois, en France.

M. Hun Sen a été par Mrs. Dith Munty et Cham Prasidh.

La journée du 2 décembre 1987 :

Note pour la presse.

Voici quelques paroles de M. Hun Sen et quelques paroles de Norodom Sihanouk lors de leur entrevue en date de ce 2 décembre 1987.

Hun Sen a dit, entre autre, ceci :

Quelle est l’origine de ce conflit qui, depuis Mars 1970 jusqu’à maintenant, fait le malheur du peuple khmer ?

Sous le leadership de Samdech (Monseigneur) Sihanouk notre peuple khmer avait bénéficié de 16 années de paix, de bonheur et de progrès dans le cadre de l’édification nationale.

La clique de Lon Nol, le 18 Mars 1970, a injustement renversé Samdech Sihanouk et a délibérément plongé notre Kampuchea dans les feux de la guerre d’agression de l’Impérialisme U.S. Tous nos malheurs viennent de là.

Et ces malheurs ont atteint leur paroxysme sous le régime de Pol Pot, un régime pire que celui de Hitler, un régime d’une cruauté sans équivalent dans l’histoire de l’Humanité.

Ainsi, tous les sacrifices que notre Résistance nationale (F.U.N.K. avec Samdech Sihanouk comme Président) avait fait entre le 18 Mars 1970 et 17 Avril 1975 pour vaincre l’Impérialisme U.S. et ses valets n’ont servi à rien, sinon à amener Pol Pot et sa clique au pouvoir avec les funestes conséquences qu’on sait.

Le régime de Lon Nol et celui de Pol Pot sont, par conséquent, responsables des indicibles malheurs de notre peuple et du Kampuchea depuis 17 ans et conflit actuel.

Si le Kampuchea était resté sous le leadership de Samdech Sihanouk entre le 18 Mars 1970 et cette année 1987, notre pays aurait fait d’énorme progrès dans tous les domaines de notre édification nationale, nous serions devenus une nation développée, prospère, ô combien heureuse !

Mais laissés à nous-mêmes, sans le leadership de Samdech Sihanouk, notre peuple et nous (Hun Sen, etc.) fûmes obligés de lutter seuls contre Pol Pot et ses complices (Ieng Sary, etc.).

Notre résistance contre Pol Pot ne date pas de 1978. Dans certaines régions du Cambodge, nous commençâmes la lutte depuis fin 1973, depuis 1974. Nos camarades dans d’autres régions du Kampuchea décidèrent de lutter contre Pol Pot en 1975, 1976, 1977. Hélas, jusqu’en 1977, nous ne fûmes libérer notre peuple martyrisé par Pol Pot, lequel possédait une grande armée de 23 divisions et 180  000 hommes.

Avant de se décider à venir au secours de notre peuple martyrisé et ruiné par Pol Pot, le Vietnam avait continué d’entretenir des relations amicales avec le Kampuchea Démocratique. Mais en 1978, la R.S. du Vietnam dut se rendra à l’évidence : le régime de génocide du peuple khmer dont Pol Pot était le Chef était insoutenable.

La RSV dut répondre à l’appel désespéré « à son secours » de notre peuple khmer.

Certains de nos ennemis nous ont accusés « d’aliéner l’indépendance du Cambodge au profit du Vietnam ».

Cette accusation est injuste. Nous sommes, comme vous, Samdech, pour un Cambodge indépendance à 100%. Mais fallait-il, pour cela, sacrifier notre peuple martyr et permettre à Pol Pot de l’exterminer ?

Et puis, à part le Vietnam, qui ou quel pays accepterait ou était désireux de venir au secours du peuple khmer en danger d’extermination ? Personne d’entre tous ceux qui prétendaient avoir de la compassion pour le Kampuchea et son peuple ne levait le petit doigt pour menacer Pol Pot. Bien au contraire, ceux-là continuaient à entretenir les meilleures relations avec Pol Pot et son « Kampuchea Démocratique ».

Nous n’eûmes pas le choix : il n’y avait que le Vietnam socialiste pour sauver notre peuple. Le Vietnam l’a fait.

Mais je (Hun Sen) peux vous assurer, Samdech, que les troupes vietnamiennes quitteront, toutes, le Cambodge, au plus tard en 1990. De la part de la RSV, il s’agit d’une décision irréversible.

Cependant, si nous, Khmers, arrivons à réaliser la réconciliation nationale et à résoudre entre Khmers le problème du Kampuchea avant 1990, c’est-à-dire en 1988 ou 1989, le retrait total des troupes vietnamiennes du Cambodge s’effectuera ipso facto la même année soit en 1988 ou 1989.

Je (Hun Sen) partage entièrement l’avis de Samdech en ce qui concerne la nécessité d’avoir la faction de M. Khieu Samphan et celle de M. Son Sann avec nos deux parties pour que soit convenable un « Cocktail party » à Jakarta ou ailleurs. Si les 4 factions khmères ne sont pas au complet à ce « Cocktail party », ce dernier n’aurait pas de sens et il ne nous resterait que la continuation de nos efforts bipartites (RPK et FUNCINPEC) pour faire progresser la recherche d’une solution équitable au problème du Kampuchea.

N. SIHANOUK a dit, entre autre, ceci :

Vous (Hun Sen) m’offrez un « haut poste » à Phnom-Penh (RPK). Veuillez m’excuser de ne pouvoir l’accepter. Je ne rentrerai à Phnom-Penh que pour présider un gouvernement quadripartite (FUNCINPEC, PKD, FNLPK, RPK) dans le cadre d’un nouvel Etat cambodgien, l’Etat du Cambodge (avec un système politique, économique, etc. très proche de celui de la France), un Cambodge qui serait ni « Populaire », « Démocratique », ni communiste, ni socialiste, mais dont le système politique sera parlementaire « à la Française » et multi-parti (comportant un ou des partis communistes à côté de partis non-communistes), un Cambodge indépendant à 100%, un Cambodge sans troupes étrangères sur son sol, un Cambodge neutralisé sous contrôle international.

Je (Sihanouk) m’intéresse à d’éventuelles discussions sur le Cambodge avec « Moscou » et « Hanoï ». Mais je ne me rendrai pas à Moscou ou à Hanoï avant la visite à ma résidence (Fère-en-Tardenois) d’un haut personnage soviétique ou vietnamien.

Notre Cambodge et son peuple sont victimes de la haine qui dresse l’un contre l’autre le Vietnam et la Chine et la méfiance mutuelle qui caractérise encore les relations entre RPC et URSS.

Vous (M. Hun Sen) et moi (Sihanouk) devons déployer dès maintenant beaucoup d’efforts pour amener ces grands amis du peuple khmer (RPC, URSS et RSV) à mettre fin le plus tôt possible à leur dispute, à leurs malentendus. Il ne suffit pas de travailler pour amener à « notre table » M. Samphan et M. Son Sann. Il faut, je le répète, que vous (Hun Sen) et moi (Sihanouk) fassions ensemble des démarches auprès de la Chine, de l’URSS et du Vietnam pour les supplier de cesser leur dispute sur le dos du Cambodge. Seul le retour de la RPC, de l’URSS et de la RSV, ensemble, à l’amitié entre elles pourra mettre fin à nos misères.

Ceci dit, il ne faut pas négliger la question de nos relations avec la Thaïlande et avec les USA.

Je félicite le régime de Phnom-Penh et la RSV de chercher à améliorer leurs relations avec les USA, par exemple à travers la question des « M.I.A. ».

Le future « État du Cambodge » se portera d’autant mieux, pour le grand plus grand bien de notre peuple khmer, qu’il s’attachera à être l’ami loyal de tous les pays du monde, en particulier avec ses 2 grands voisins (Thaïlande et Vietnam) et avec les 3 « super-puissances » : URSS, USA et RPC.

Nous continuons à faire le malheur de notre peuple et de notre Patrie si nous continuons à être « avec » l’URSS et le Vietnam « contre » la RP de Chine, ou « avec » l’URSS « contre » les USA, oui « avec » les USA « contre » le Vietnam.

Notre paix, notre survie en tant que Khmers et Cambodge seront assurées le jour où nos 4 factions khmères, d’un commun accord, choisiront une fois pour toutes d’être les amies, bonnes et loyales, à la fois de la RPC, de l’URSS, de la RSV et du Royaume de Thaïlande.

Post-Scriptum :

À une question de N.Sihanouk, M. Hun Sen a répondu que sa « RPK » et ses alliés (URSS et RSV) rejetteront toujours les « Résolutions de l’ONU sur la situation au Kampuchea » et que la « RPK » accepte la proposition de N.S. d’une Conférence Internationale de type « Genève 1954 » - « Genève 1961 ». N.S. propose que l’Inde soit de nouveau Présidente de la C.I.C. après une « 3e Conférence Internationale de Genève ».

Journée du 3 Décembre 1987 :  

Pour la Presse :

Résumé de l’entretien, en date du 3 Décembre 1987, entre Norodom Sihanouk et M. Hun Sen.

N.S. (Sihanouk). – Lors de notre rencontre d’hier (2 Décembre 1987) j’ai eu l’honneur de vous faire connaître, ainsi qu’à votre « gouvernement » à Phnom-Penh, que le G.C.K.D. (FUNCINPEC- PKD – FNLPK) considère et considérera toujours comme nuls et non-avenus les accords et traités (en particulier, ceux concernant les frontières et îles côtières du Cambodge) signés par vous (régime de Phnompenh appelé « République Populaire du Kampuchea ») avec la R.S. du Vietnam. Si un jour, l’État du Cambodge est fondé et le gouvernement quadripartite (FUNCINPEC – PKD – FNLPK- RPK) est formé sous ma Présidence, ce gouvernement quadripartite devra confirmer officiellement que tous les accords et traités signés par la « République Populaire du Kampuchea avec la R.S. du Vietnam sont totalement rejetés et nuls et non-avenus.

Ceci dit, j’ai quelques autres questions à vous présenter.

Je commence par celle des réfugiés khmers se trouvant actuellement en Thaïlande.

Personnellement, je pense que chacun, chacune de ces réfugiés doivent recouvrer son droit à l’auto-détermination, un droit sacré reconnu à tout être humain par la déclaration universelle des Droits de l’Homme.

Ceux et celles des réfugiés khmers en Thaïlande qui, librement, choisissent de rentrer au Cambodge, doivent avoir le droit de le faire sans que les Khmers Rouges, les Khmers Bleus et autres aient le droit de s’y opposer.

Mais, du côté de votre régime (Phnom-Penh), il faut que vous donniez au Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), etc. et à moi-même l’assurance formelle que les réfugiés khmers actuellement en Thaïlande – je parle de ceux et celles d’entre réfugiés khmers qui, par un moyen ou un autre, auront réussi à quitter les camps « site 2 », « site 8 », etc. pour revenir au Cambodge, ne seront, en aucun cas, inquiétés par votre régime ou par vos protecteurs vietnamiens.

HUN SEN. – Je donne, au nom de mon gouvernement, à Samdech l’assurance formelle que nous ne leur ferons aucun mal et que, bien au contraire, nous leur donnerons toutes les facilités pour qu’ils puissent se réinstaller dans les meilleures conditions possibles chez nous et vivre dans la liberté dans leurs villes, leurs villages, leurs provinces. Nous n’avons aucun intérêt à les maltraiter.

Une deuxième question : celle des Droits de l’Homme. AMNESTY INTERNATIONAL London, dans ses « Rapports » annuels, signale d’innombrables cas de violations (extrêmement graves) des Droits de l’Homme à l’encontre de notre innocent peuple khmer, violations commises par votre régime et par l’armée vietnamienne occupant le Cambodge. Je demande à votre « R.P.K.) de cesser de martyriser ainsi notre peuple.

HUN SEN. – Je vous jure, Samdech, que nous (R.P.K.) ( et il est de même de nos amis vietnamiens au Cambodge) n’avons commis aucun des crimes qu’AMNESTY INTERNATIONAL et autres nous accusent d’avoir commis sur la personne de notre peuple. Si nous l’avons libéré du Polpotisme ce n’est certes pas pour qu’il revive les horreurs du « règne » de Pol Pot. Il est vrai que notre État possède des prisons. Mais quel État, dans le monde, n’a pas en son sein des prisons ?

En la R.P.K., il n’y a ni torture ni mauvais traitement des prisonniers et autres comme au temps de Pol Pot.

N. SIHANOUK. – Maintenant, permettez-moi d’aborder la question du sauvetage d’Angkor, c’est-à-dire des temples et autres monuments dans la région de Siemreap – Angkor. Je sais que l’Inde et un ou deux autres pays – vos amis sont en train d’essayer de sauver Angkor Vatt. Mais l’Inde et ces autres pays vos amis n’ont et n’auront pas des moyens suffisants pour sauver Angkor. Et quand je dis « Angkor », je pense non seulement à Angkor Vatt mais aussi à Angkor Thom (le Bayon), Bakhèng, Preah Khan, Ta Prohm, Bantey Srei, etc. qui sont un patrimoine sans prix de l’Humanité. Tout ANGKOR est actuellement en danger de mort. Il faut nous dépêcher de le sauver alors qu’il est déjà « presque trop tard ».

Le seul moyen de le sauver ne saurait être que celui-ci : neutralisation et démilitarisation de la région d’Angkor, appel à l’aide (aides financières, technique, matérielle, scientifique) de tous les pays riches (en particulier l’Europe occidentale, les USA, le Japon), de l’ONU, de l’UNESCO, de l’Ecole Française d’Extrême-Orient.

HUN SEN. – Nous (RPK) ne pouvons laisser neutraliser et démilitariser la région d’Angkor.

N. SIHANOUK. – Tout au moins sur ce « chapitre » -là, vous (RPK) ressemblez aux Khmers Rouges (PKD).

 

COMMUNIQUE CONJOINT

 

Animés par le désir commun de mettre un terme au conflit kampuchéen par des moyens pacifiques et de parvenir à la réconciliation nationale, S.A.R. Samdech NORODOM SIHANOUK et S.Exc. M. HUN SEN se sont rencontrés du 2 au 4 Décembre 1987 à Fère-en-Tardenois (France).

 Lors de cette rencontre historique, les deux parties ont abouti aux accords suivants :

1- Le conflit au Kampuchéa doit nécessairement passer par une solution politique.

2- Le problème kampuchéen doit nécessairement être réglé par le peuple kampuchéen lui-même par le biais des négociations entre toutes les parties en conflit afin de mettre un terme à la guerre, à l’effusion de sang, et pour reconstruire un Kampuchéa pacifique, indépendant, démocratique, souverain, neutre et non-aligné.

3- Dès qu’un accord sera réalisé entre les parties kampuchéennes, une conférence internationale sera convoquée pour garantir cet accord, garantir l’indépendance du Kampuchéa, la paix et la stabilité en Asie du Sud-Est.

4- Les deux parties acceptent de se rencontrer à nouveau dans le courant de Janvier 1988 à Fère-en-Tardenois (France).

Les deux parties s’accordent également pour se rencontrer pour la troisième fois au Palais Chhang Sou On de S.A.R. Samdech NORODOM SIHANOUK en République Populaire Démocratique de Corée, à une date qui reste à fixer.

Sur la base de l’accord suscité, et dans l’intérêt suprême de la nation kampuchéenne, les deux parties invitent les autres parties kampuchéennes à les rejoindre à la table de négociationafin de parvenir à une solution rapide au problème kampuchéen, contribuant ainsi à la paix et à la stabilité en Asie du Sud-Est.

 

Fait à Fère-en-Tardenois, le 4 Décembre 1987

 

 

S.A.R. Samdech NORODOM SIHANOUK                                                   S. Exc. M. HUN SEN                                                                                    

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15 octobre 2009 4 15 /10 /octobre /2009 13:15

Aperçu sur l’évolution de la presse au Cambodge (Suite et fin).

Avertissement : Auteurs : MM. Soth Polin, Directeur du journal Nokor Thom, et Sin Kimsuy, chargé de cour à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques. Ils ont écrit cet essai en langue française en 1974 et publié en février de la même année.

II. Presse et Gouvernement

Code de Presse.

À l’instar de la presse libérale de l’occident, dont elle s’est largement inspirée, la presse khmère d’aujourd’hui se veut une presse d’opposition. Mais la tâche n’a pas été facile.

En juin 1972, le Ministère de l’Information a publié un code de presse fort sévère qui apparaît aux yeux des journalistes comme épée de Damoclès.

Il est écrit dans le code que la presse est libre mais qu’elle ne doit pas porter atteinte à l’honneur des personnes, à la sécurité nationale, aux bonnes mœurs. L’honneur des personnes, c’est celui se rapportant à la dignité des individus et surtout à leur vie privée (article 2 et 21). Seulement au Cambodge les tenants du pouvoir acceptent difficilement de distinguer leur responsabilité publique et leur vie privée. Quand la presse s’en prend à un haut fonctionnaire pour affaire de corruption, par exemple, ce dernier réagit invariablement en l’accusant de proférer des attaques personnelles, mesquines, visant à ruiner sa réputation.

L’atteinte aux bonnes mœurs et à la sécurité nationale non plus n’est pas clairement expliquée. On ne saurait connaître dans une juste proportion, la limite qui sépare le permis et le défendu. Les journalistes doivent savoir eux-même s’adapter aux circonstances, flairer l’atmosphère, s’auto-censurer les termes pour ne pas aller trop loin. Les dangers peuvent surgir à chaque instant : on risque de trouver, chemin faisant, la prison ou la ruine sans parler de la vengeance des puissants. C’est ainsi que la maison du directeur du journal Nokor Thom a reçu le 9 janvier 1972 une charge de plastic pulvérisant sa voiture, parce que le journal s’est permis de ridiculiser un politicien lié intimement à un très puissant général, et M. Vath Van, l’un des directeurs de publication du journal Khmers-Ekareach, a reçu un coup de hache pour s’être moqué de la même personne.

Dans l’article 22 du code de presse, il est spécifié que la presse peur critiquer librement la politique et l’action du gouvernement. Mais cette critique ne doit pas être injurieuse. La critique qui n’est pas accompagnée d’injures mais « faite de mauvaise foi pour entraver l’action gouvernementale ou de la justice » n’est pas de même, autorisée.

Dans l’article 32, il est interdit de servir de la presse pour outrager.

« a/ Le Président de la République, le Vice-Président de la République, les chefs et les membres du clergé bouddhique des deux ordres ;

b/ Le Chef de l’Eat, ambassadeur, le chargé de mission ou le consul des pays entretenant des relations diplomatiques avec ma République Khmère ;

c/ Les députés, les sénateurs, les membres du Gouvernement, les membres de la Cour Suprême, du Conseil Supérieur de la Magistrature, de la Cour Constitutionnelle, de la Haute Cour de Justice et de tous les autres corps constitués, les agents des services administratifs, les militaires ou les citoyens chargés provisoirement ou habituellement d’un mandat administratif ou électoral, en ce qui concerne les activités intéressant la mission ou la fonction des intéressés ;

d/ Les personnes privées, qu’elles soient des individus privés ou des entités légales ;

e/ Les personnes décédées dans le but de porter atteinte à l’honneur et au prestige des héritiers, conjoints ou mandataires qui sont encore vivants.

Est réputé outrage tout terme méprisant ou injurieux ».

On voit bien la marge étroite de manœuvre pour un journaliste qui essaye d’accomplir convenablement sa tâche, puisqu’il ne peut blâmer personne. L’outrage, le mépris ou l’injure, ce sont des termes vagues et généraux pouvant être interprétés de différentes façons. Un journaliste sera donc condamné ou gracié selon le bon vouloir de l’autorité. En somme, il faut essayer de faire des éloges à tout le monde. Ce qui s’avère ridicule, car quand les choses se passent honorablement ou bien sont normales, on sent l’inutilité de les relater dans la presse : Comme un chien qui mord un homme, alors qu’on ne doit pas manquer de faire si c’est l’homme qui mord le chien.

Diffamation :

Les procès intentés contre la presse pour diffamation sont employés par les hommes occupant de hautes fonctions ou par le gouvernement lui-même pour faire reculer les journalistes. Pourtant des hauts fonctionnaires, dans leur plainte devant le tribunal devient souvent du problème soulevé. Pour se disculper aux yeux de l’opinion, ils soulignent à n’en plus finir leur compétence, grossissent le bon accomplissement de leur travail, mais ils s’abstiennent de répondre coup pour coup aux accusations portées contre eux, c’est-à-dire de se justifier. Ils contre-attaquent globalement en répétant que la presse les diffame, par exemple, ou « qu’elle travaille pour les communistes ». Et ils visent, guettent un point faible dans les mots, cherchent une défaillance, une négligence dans les termes employés par les journalistes pour les prendre à la gorge. C’est à croire qu’ils cherchent les fautes de grammaire.

Du temps de l’absolutisme du prince Sihanouk, en 1969, le journal Sovanphoum (le village d’or) a été condamné à une forte amende (104 000 Riels = 2 080 dollars à l’époque) pour avoir diffamé M. Kou Roun. Sa faute de l’avoir appelé « Asora », l’orgre.

Le Prince Sihanouk en personne, en tant que Chef de l’État avait porté plainte pour diffamation contre M. Sim Var, directeur et propriétaire de Khmer Ekareach, en septembre 1969, Monsieur Sim Var avait alors publié un éditorial passionné appuyant le nouveau gouvernement dit de sauvetage nommé pourtant par Sihanouk lui-même, afin « qu’il mette un terme à l’anarchie, au désordre social et à la corruption qui minent le pays alors que les étrangers sont en train de l’envahir ». (le journal Khmer Ekareach du 17 septembre 1967 – bibliothèque nationale Phnom-Penh).

C’était cette dernière phrase qui avait été incriminé. En réalité Sihanouk a été rendu fou de colère par un autre article paru le jour suivant accusant M. Khek Vandy, Président Directeur Général de plusieurs sociétés d’État et en même temps ami de Mme Monique Norodom II, de corruption. Sihanouk demandait seulement un riel de dommage et intérêts à Sim Var, s’il gagnait le procès. La tension était si grande que la Reine Kossomak, mère de Sihanouk, le Président du Conseil des Ministres Lon Nol et le Président de l’assemblée Nationale Cheng Heng, conjuguaient leurs efforts pour demander à Sim Var d’assouplir sa position. Sim Var avait dû saborder son journal en octobre 1969.

En 1971, M. Thon Ouk, Président Directeur Général de la société khmère de raffinerie de pétrole porte plainte contre le journal Nokor Thom qui a étalé au grand jour avec documents à l’appui, la gestion défectueuse de cette société d’État qui comportait un gaspillage monstre et causant une perte de cent onze millions de riels rien qu’en 1970. Mais Thon Ouk insistait plutôt sur les termes employés par le journal, par exemple : « Il (Thon Ouk) leur est si servile que c’est à croire qu’il leur apportait de sa propre main du papier hygiénique »…Néanmoins le tribunal de première instance a acquitté le journal Nokor Thom.

Mme Ung Mung aussi, ancien ministre de tourisme, a intenté un procès de diffamation contre le journal Nokor Thom, procès qui traîne jusqu’aujourd’hui, pour l’avoir appelée une cuisinière, et le ministère du tourisme Samlâr Kâkor, une soupe khmère aux divers ingrédients. Les critiques sérieuses étaient méconnues par le ministre.

Violation de la liberté de presse.

Le code de la presse conçu sans la participation des journalistes, constitue déjà à lui seul une violation de la liberté de presse. Comme l’a fort justement observé M. Sim Var, si ce code ne permet pas de critiquer et de blâmer nos gouvernements, ces « princes » que le peuple paie de ses derniers, c’est qu’il n’est ni plus ni moins un système de dictature.

Mais il y a eu aussi tout au long de l’histoire de la presse khmère des violations sur les personnes et les biens des journalistes qui sont allés jusqu’à assassinat. Un directeur du journal Pracheachon (tendance communiste pro-Hanoï) du nom de Nop Bophan a été tué à bout portant dans la nuit du 9 Octobre 1959, immédiatement au nord de la pagode Laing Kar, par un inconnu (que la rumeur publique disait être un agent de Sihanouk). Le docteur ès sciences économiques Khieu Samphan, progressiste, nouvellement diplômé de Paris, directeur d’un bi-hebdomadaire de langue française, « Observateur », a été mis à nu et torturé par M. Kou Roun, ministre de Sécurité de Sihanouk en avril 1960 :

« Le 13 avril 1960, alors qu’il circulait en motocyclette devant la maison de M. Lim Kry, non loin de la police Preah Sihanouk, M. Khieu Samphan se vit molesté par une bande d’assaillants qui n’étaient autres que des agents de police du gouvernement. Tout le monde le savait et Khieu Samphan s’en indigna en publiant des articles accusateurs contre la Police. Kou Roun le manda à son bureau et frappa de sa propre main, avec le -Kdâr Ko- (verge du bœuf), le jeune et brillant docteur jusqu’à ce que ses sphincters lâchent des excréments, son ancien tortionnaire. ».

On aurait dit, il commit le crime de publier des articles élogieux envers les petits vendeurs de pain, mettant ainsi en relief la lutte des classes dans le « Sangkum » de Sihanouk. En 1958, un très célèbre écrivain, Sang Savath (Sang Savath, camarade de classe de Hang Thou Hak et de Hou Youn, était un puissant romancier par la vigueur et l’apreté de son talent). Il publia en 1955 « Moha Chaur neou toul dèn » (Les pirates de la frontière), et « Décho Kraham » (Le Seigneur rouge), directeut du journal Khmer Thmei, partisan du gouvernement Khmer Sérei de M. Son Ngoc Than (Khmer libre) aurait été liquidé sur la montagne Kirirom.

En 1967, une manifestation est provoquée par l’entourage même du prince Sihanouk pour détruire les locaux du journal et de l’Imprimerie de Khmer Ekareach. Les dégâts ont été énormes : 3 Millions de riels qui équivalaient à l’époque 60 000 dollars.

Après le 18 mars 1970, la répression contre les jouranistes, bien que nettement moins sauvage, ne s’est pas relâchée pour autant. Plusieurs journalistes ont été mis en prison sans jugement, comme M. Bouy Sréng, directeur du journal Sankruoh Khmer (Sauver les Khmers) en juillet 1972. De façon générale si les journaux ont eu le malheur de déplaire au gouvernement, il les suspend. La suspension peut être provisoire ou définitive. Pour cela, la guerre contre les envahisseurs est un bon prétexte qui vient à la rescousse du gouvernement défaillant.

Le journalisme comme tremplin.

En somme, le journalisme au Cambodge s’est révélé un métier harcelant, dévorant, un exercice quotidien de haute acrobatie. Les journalistes sont pareils aux danseurs de corde : les dangers viennent de tous les côtés, danger de s’arrêter en route, de regarder en arrière, danger d’avoir peur de la peur. S’ils se mettent au pas, derrière le gouvernement, leurs journaux ne trouveraient pas d’audience et financièrement, ce sera une catastrophe. S’ils se font les champions de l’intérêt public, ils perdent des amis, s’exposent au courroux des hommes au pouvoir qui ne manqueront pas de leur tordre le cou. Quand le tirage d’un journal monte vite, ce n’est guère un signe de santé et de prospérité, c’est plutôt un symptôme qui indique qu’il ne va pas loin. Un journaliste de talent, respectueux de sa profession, n’a pas d’avenir personnel.

Pourtant au Cambodge le journalisme mène aussi très loin, à condition d’en sortir. Plusieurs journalistes : MM. Trinh Hoanh, Chau Seng, Tep Chhieu Kheng, Kem Reth, Khung Thay Ly etc. Trois ont pu devenir dans le temps Premier ministre : MM. Son Ngoc Thanh, Sim Var, Long Boret. Certains d’entre eux, il est vrai, oublient très vite leur ancien métier.

III. Les facteurs socioculturels et la presse.

Depuis la nationalisation de la presse au Cambodge, décidée par l’ancien régime en fin 1967, les journaux privés ne sont plus autorisés à ne paraître qu’en langue nationale : le Khmer. La presse gouvernementale par contre est publiée dans quatre langues : le Khmer, le Français, l’Anglais et le Chinois. Les journaux en Khmer sont plus nombreux que ceux qui sont publiés dans les trois langues. Le nombre de tirages des journaux gouvernementaux en français et en chinois etc. plus important que celui des journaux en anglais. Ceci s’explique par plusieurs raisons. D’abord, considéré comme deuxième langue, le français est encore utilisé dans l’Administration avec le Khmer. Les fonctionnaires, les enseignants et les étudiants constituent le seul marché de lecteurs des journaux en français, dont le nombre se trouve maintenant réduit avec la politique de « Khmérisation » de l’enseignement entreprise par le gouvernement depuis 1967. Ensuite, l’existence des journaux en langue chinoise explique l’importance du nombre des Chinois sont l’immigration au Cambodge remonte assez loin dans l’histoire nationale. Sur une population totale de 7 millions environ, le Cambodge compte 350 000 à 400 000 Chinois. Dans les villes et dans les autres centres urbains, un homme sur cinq ou six est Chinois, parle, pense et vit à la chinoise. Cette population d’origine de « l’Empire du milieu » et qui vit toujours en société ou, en congrégation, éprouve, partout où elle sera, le besoin de s’informer, de communiquer entre ses compatriotes. Sa vocation et ses aptitudes manifestes pour le commerce trouvent en la presse l’excellent moyen pour traiter ses affaires. Deux remarques s’imposent : d’abord, les Chinois lisent plus, que les Cambodgiens et généralement chaque maison chinoise abonne un ou deux journaux chinois qui la mettent au courant de toutes les nouvelles commerciales du jour et de la situation économique générale du pays ; ensuite, la presse chinoise sert plus les intérêts des Chinois que ceux des Cambodgiens, car ces derniers ne comprenant pas le chinois, elle constitue un mystère, voire un code secret pour la population khmère. Et au lieu d’assurer l’intégration sociale des Chinois dans la société khmère, la presse en langue chinoise favorise au contraire une cloison étanche entre ces deux sociétés en permettant à la première de prendre conscience de sa particularité et de sa prédominance vis-à-vis de la seconde.

Les autres groupes sociaux et religieux comme la minorité vietnamienne et la communauté Cham n’ont que des rapports vaguement déterminants avec la presse du pays ; ils n’ont pas leurs journaux propres.

Les journaux gouvernementaux en langue anglaise (ils sont au nombre de deux) sont d’une date récente et ne touchent qu’un public très limité.

Contenu des journaux moyens.

Sauf « Nokor Thom » et « Républicain » qui ont 8 pages chacun, mais de format tabloïd, les quotidiens cambodgiens sont en général de quatre pages. La première et la quatrième page sont consacrées aux éditoriaux, aux nouvelles du pays, à celles de l’étranger, et à quelques articles d’études des problèmes touchant la réalité du pays et l’intérêt général. Les informations intérieures comprennent les activités du chef de l’État, du Premier ministre ou des membres du gouvernement, les communiqués de différents départements, les affaires civiles ayant trait aux actes de corruption sous toute leur forme et quelquefois le droit de réponse. En général, les articles importants sont illustrés des photos ou des caricatures vexatoires. Il y eut cet effort d’adaptation de la presse aux nouvelles aspirations des lecteurs ; le phénomènes inverses se produisit également : l’adaptation des lecteurs à la nouvelle tendance de la presse. C’est donc cette adaptation mutuelle de la presse et des lecteurs, phénomène social nouveau, qui fait progresser la presse khmère dans son ensemble. Il s’ensuit que le genre d’articles qui avaient pu plaire au public d’avant 1970, sont maintenant très mal vus par la majorité des lecteurs d’aujourd’hui. Les réclames publicitaires ne figurent presque jamais à la première page qui est plus politique que commerciale. Surtout les nouvelles de guerre occupent une grande partie des informations locales pendant ces dernières années. La presse publie chaque jour les nouvelles provenant des champs de bataille rédigées par leurs reporters, et les communiqués de l’Etat-major des forces militaires nationales. Mais ce sont surtout les commentaires politiques dont les thèmes se rapportent généralement aux affaires du pays qui permettent d’apprécier ce que valent exactement les journaux au Cambodge. Les textes d’études et d’analyse ne se rencontrent que dans très peu de quotidiens et hebdomadaires. À titre d’exemple, on peut citer les journaux « Nokor Thom », « Khmer Ekareach » et le « Bulletin de Jeunesse », qui se sont donnés de l’effort dans l’analyse des faits économiques, politiques, sociaux ou historiques du pays.

Les pages intérieures sont d’ordinaire réservées aux choses moins urgentes ou d’importance secondaire : les romans nationaux ou traduits de l’étranger, y ont traditionnellement occupé une place majeure. Il s’agit des romans de tout genre : Classique ou moderne, du sentimental au philosophique. Les analyses scientifiques et historiques y ont également leur place et sont recherchées surtout par le public intellectuel, universitaire, étudiant et fonctionnaire. C’est par ce genre de travail que la presse cambodgienne d’aujourd’hui peut avoir son rôle positif qu’elle n’avait pas, naguère.

Les lecteurs.

Les lecteurs se divisent en plusieurs catégories selon leur goût et leur intérêt, par exemple celle qui s’intéresse aux nouvelles fraîches, celle qui recherche les analyses intelligentes et profondes des faits économiques, politiques et sociaux, et celle qui est gagnée au sensationnel. La première catégorie de lecteurs est formée des commerçants, des hommes d’affaires qui composent la classe d’entreprenante du pays. La seconde représente l’«intelligentsia » regroupant professeur, étudiants, fonctionnaires. La troisième catégorie englobe la majorité des lecteurs dont le niveau d’instruction reste bas. Elle a fourni l’occasion à certains journaux peu scrupuleux et irresponsables d’exploiter leur penchant vulgaire en vue d’augmenter le tirage. Cependant, on constate que la 2e catégorie de lecteurs augmentent d’année en année, alors que les lecteurs de la 3e catégorie diminuent progressivement, parallèlement au progrès de la conscience nationale de la presse.

Conclusion.

Dans son ensemble, la presse au Cambodge reste une presse de combat. Elle est plus politique que commerciale ou que technique. Même le rôle d’information vient après. L’apparition de la plupart des journaux coïncide avec les moments les plus bouillonnants de la politique du pays. Leur sort est en général lié au développement des circonstances politiques qui les ont vus naître. Leur vie n’a pas connu de stabilité et par conséquent leur influence politique n’a jamais été durable dans le passé. Cependant, quelques journaux ont pu, par leur prestige et leur talent, par l’impact de leurs articles sur l’opinion publique, influencer le cours des évènements d’importance historique : il s’agit des journaux « Nagaravatta » à l’époque qui précède l’avènement de l’Indépendance, et « Khmer Ekareach » à la veille de l’évènement du 18 Mars 1970. Depuis 1970, malgré leur existence éphémère, les journaux privés au Cambodge ont profité de la période de liberté brève et relative octroyée par le nouveau régime en place en pleine transmutation, pour jouir de son nouveau rôle de 4e pouvoir. Mais la suppression de tous les journaux par le gouvernement désormais méfiant du rôle de la presse, depuis le 18 Mars 1973, ait mis fin peut-être définitivement à cette liberté naissance. Ceci a permis de conclure qu’au Cambodge, en tout temps, la participation de la presse à la direction des affaires de l’État n’a été, en effet, tolérée que lorsque les autorités espéraient y trouver total appui et obéissance aveugle aux grandes lignes politiques du gouvernement. Dans cette liberté conditionnelle et contrôlée, pour se maintenir à la surface bon nombre de journaux se voient obligés de vivre l’opportunité des circonstances. Toutefois, cette faiblesse et cette instabilité du rôle politique de la presse khmère peuvent également s’expliquer par le fait qu’une partie des journaux qui ne sont pas dignes de ce nom, leur manque d’organisation et de sérieux les empêchent de devenir une institution efficace pouvant se défendre contre la pression éventuelle du gouvernement.

Quant à son rôle d’information, la presse privée khmère, n’a qu’à moitié réussi, malgré un certain progrès qu’elle a connu depuis ces derniers temps. N’ayant au départ aucune formation professionnelle, les journalistes cambodgiens, qui se sont lancés dans le métier, animés en général d’un enthousiasme politique, dans l’espoir de le mener à bien et l’améliorer plus tard par la pratique sur le terrain qui leur restait jusqu’alors vierge. Reportages souvent mal fait, retard des nouvelles s’ajoutant à la pauvreté en articles scientifiques et en articles d’études, et au manque de moyens techniques indispensables à la bonne marche d’un journal, voilà les causes qui expliquent l’insuffisance de la presse khmère en tant qu’institution sociale et son retard sur la presse des autres pays. Remédier à ces insuffisances et faire prendre conscience aux journalistes khmers de l’importance de leur rôle dans la contribution effective à toutes les fonctions de l’État, administratives, économiques, politiques et sociales, devient indispensable et urgente pour permettre à la presse khmère de devenir une institution utile pour tous, et de survivre.

Note : Nous n’avons pas transcrit le chapitre « Aspect économiques de la presse khmère », parce que nous jugeons qu’il ne représente que l’aspect technique, économique et organisationnel de la presse khmère de l’époque. Dans ce chapitre les auteurs ont traités les sujets suivants : Facilités de création du journal, Capital, Répercussion sur la consommation, Distribution, Autres aspects (crise de papier, les machines).

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